Naked
6.2
Naked

Album de Talking Heads (1988)

Complètement à poil au milieu d'un champ de fleurs


1986...



Pour chaque groupe légendaire, il faut toujours compter une discographie avoisinnant souvent une dizaine d'albums officiels. C'est le cas pour Talking Heads, célèbre quartet New Yorkais de fusion punk/funk/new wave. Entre 1977 et 1986, ils sortent sept albums qui les voient révolutionner peu à peu la musique pop, l'usage du studio et donner ses lettres de noblesse à un genre bien souvent méprisé : la new-wave. A ce moment de leur carrière, le groupe à déjà connu le succès (quelque part entre le clip de "Once In A Lifetime" en 1980 et la sortie du film-concert Stop Making Sense en 1984). Leur dernier album, True Stories, ne fut pas un franc succès, reposant principalement sur des sonorités pop-rock assez éloignées de l'image étrange du groupe. Ce disque sert surtout de bande son au premier long métrage de David Byrne, un film éponyme évoquant la vie dans les petites villes du Texas des Etats-Unis. N'ayant pas connu un grand succès, le film reste un sympathique long-métrage de cinéma indépendant américain qu'on pourrait rapprocher par certains égards aux visions de David Lynch ou John Waters.


Depuis le milieu des années 80, Byrne n'a plus trop la tête à travailler avec Talking Heads. Il commence à développer davantage d'ambition en solo. En 1987, il remporte l'Oscar de la meilleure bande son avec Ryuichi Sakamoto et Cong Su pour le film Le Dernier Empereur. De leur côté, les trois autres membres se voient eux aussi forcés de fructifier leurs projets en solo afin de subvenir à leurs besoins : d'un côté, le couple Chris Frantz/Tina Weymouth qui travaille d'arrache pied sur le nouvel album de Tom Tom Club, leur side project funk-rock mené en commun depuis 1981. De l'autre, Jerry Harrison, l'ex clavier de Modern Lovers qui lui aussi compose et produit son deuxième album solo, Casual Gods. Il est clair que la presse n'attends pas forcément un nouvel opus de Talking Heads au complet de sitôt...



Une virée dans la ville lumière



C'est alors que David Byrne décide de faire une réunion avec le groupe et le management pour leur proposer d'enregistrer un album en France, à Paris. Pourquoi cette ville en particulier ? Parce que Byrne sent que le groupe à besoin de prendre le large pour s'y retrouver, et quoi de mieux que la Ville lumière pour se remettre au travail ? Qui plus est, Byrne recherche davantage de musiciens originaires d'Afrique, et à cette époque la scène africaine à Paris est bourgeonnante. C'est en compagnie du feu le journaliste Jean François Bizot (créateur du magazine Actuel et de Radio Nova, rien que ça) qu'il fait la découverte des clubs et des restaurants les plus en vue dans la capitale française. Convaincus, les autres membres sont particulièrement heureux de pouvoir se remettre au travail ensemble, en particulier Tina, qui est particulièrement ravie du choix français étant donné qu'une partie de sa famille est originaire de Bretagne. Avant de quitter New-York, le quartet se retrouve dans un local de répétition à New York afin de composer une quarantaine d'idées de riffs et de rythmes qui serviront de base à la composition de l'album qui s'appelle déjà Naked.


Le groupe au complet débarque au Studios Davout à l'est de Paris, dans le 20ème arrondissement, au printemps 1987. Ils font appel à Steve Lilywhite, ingé son et producteur de U2, pour produire leurs sessions. Ayant dans un premier temps songés à Wally Badarou, ce dernier préfère s'en tenir à rester un claviériste de session. Badarou permet néanmoins au groupe de rentrer en contact avec un certain nombres de musicien locaux tels que Yves N'Djock aux guitares ou encore, parmi un grand nombre d'autres, Mory Kanté et Abdou M'Boup aux percussions. Lilywhite fait également appel à sa compagne Kirsty MacColl pour chanter certain chœurs. Deux autres guests-star font leur apparition aux Studios Davout : l'ex-The Smiths Johnny Marr ajoute ses célèbres arpèges de guitare sur quelques morceaux tandis que le célèbre violoncelliste new-yorkais Arthur Russell joue sur le morceau "Bill".


Concernant la production des titres, le groupe recommence à user de la méthode Brian Eno : se servir du studio pour composer, en superposant diverses strates d'instrumentations. Les textes sont souvent improvisés sous formes d'onomatopées qu'il remplace au fur et à mesure par des mots, dans une optique plus rythmique que lyrique, tout comme il l'avait déjà fait pour les disque Remain In Light et Speaking In Tongues.



Testament Sage et Funk



Les sessions terminées à l'été 87, le groupe retourne à New York, se séparant officieusement pour la première fois. Naked est mixé aux Sigma Sound Studios à Manhattan, et sort quelques mois plus tard, en mars 1988.


Le disque est plutôt bien accueilli par une certaine partie de la critique, qui voient ici un bien meilleur effort du groupe suite au décevant True Stories. Malheureusement pour le groupe, une autre partie de la critique, et une majeure partie du public boude le disque, ne le trouvant pas assez original et trop répétitif par rapport aux travaux passés de Talking Heads, mais également à la vue du succès d'autres artistes opérant désormais dans la veine "world". Les succès conjoints des albums So de Peter Gabriel et Graceland de Paul Simon font paraître Naked comme une pâle copie de ces deux disques, et les Talking Heads comme des suiveurs.


Pourtant, il s'agit tout de même d'un album de Talking Heads, et de tout ce qui fait la force de leur travail habituellement : une habile fusion des genres, cette fois en effet nettement plus orientée vers les sons africains; une certaine vision du monde dans les textes de David Byrne. En parlant des textes, si ils sont parfois assez foutraques ("Big Daddy", "Bill"), ils sont également pour la première fois dans la carrière du chanteur un peu autobiographiques ("Mommy Daddy You And I"). Certains autres titres font également part de la conscience du groupe du danger que représente la crise écologique naissante en cette fin d'années 80. Le titre "(Nothing But) Flowers" en est certainement le meilleur exemple, et au passage le seul titre ayant eu un peu de succès, parfois récupéré dans certaines publicités ou bande sons de films (au hasard, Clerks 2). Le groupe a également fait appel à une section de cuivre qu'on entends particulièrement dans "Blind" (mon titre préféré du disque) qui est certainement ce que le groupe à fait de mieux dans un pur registre funk.


Byrne refusant toujours de tourner avec le groupe, Naked n'est donc supporté que par deux clips vidéos et quelques rares interviews de David et Jerry. Les membres du groupe repartent aussitôt dans leurs projets solos respectifs, et ne se retrouvent finalement sur scène qu'un peu par hasard un soir de juillet 1989 au Ritz de New York pendant un rappel pour un concert de Tom Tom Club. Ce sera malheureusement leur dernière véritable apparition scénique au complet dans un contexte de concert...


Quelques années plus tard, en 1991, le groupe se retrouve en studio afin de boucler quatre nouveaux titres qui vont toutes figurer sur la compilation Sand In The Vaseline. Trois de ces titres ont été composés en 1987 mais pas retenus pour figurer sur Naked, dont le très réussi "Sax & Violins", ultime single du groupe, qui se voit accompagné d'un clip avant d'apparaître la même année dans la prestigieuse B.O du dernier film de Wim Wenders, Until The End Of The World. Ce titre sera le testament discographique de Talking Heads, et sera par la suite inclus comme douzième titre officiel de Naked dans les rééditions CD et LP remastérisés au milieu des années 2000.


En conclusion, considéré pour beaucoup (trop) comme le plus mauvais album de Talking Heads, Naked reste un excellent disque de pop world funky. Peut-être en effet un brin trop sage pour vraiment haranguer les foules et les mordus de la première époque du groupe, cet ultime album du quartet new-yorkais reste à mon sens bien meilleur que True Stories. Ce disque de 1988 mériterait donc d'être réévalué, car, en soi, son véritable point faible reste uniquement d'être le véritable dernier album d'un groupe aussi génial que Talking Heads.

Blank_Frank
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le 17 août 2020

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Blank_Frank

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