Il y a chez Blood Orange des capacités de production digne d'un Quincy Jones. Capacités qu'il gâche, d'album en album, en suivant une mode moderne, - ou plutôt un mal - sans doute née des troubles de l'attention de notre génération Smartphone, qui consiste à passer d'une idée à une autre, beaucoup trop vite pour profiter d'une ambiance, d'une bonne vibe qui s'installait seulement. Cela commence à être flagrant sur Black Negro dès le 4ème titre « Hope » : Puff Daddy balance des Yeah, des Yo ; tu te dis que ça y est, le morceau va bientôt partir… Puis non, le beat se coupe en plein milieu, Puff se met alors à parler d'Amour avec un peu de piano derrière pour instaurer une fausse ambiance jazzy. Classique depuis que Kendrick l'a fait avec « Pimp a Butterfly »… Barbant quand tu finis par entendre cette méthode partout.
J'en pouvais déjà plus des skits/interludes dans les années 2000 mais dans les années 2010, le phénomène s'est amplifié ; les deux morceaux suivants n'en sont qu'une accumulation. Vous savez, ce genre de fausses interviews qu'on entendait déjà trop dans l'album « A Seat at the Table » de Solange ou encore SebastiAn qui se confiait chez Frank Ocean ; ça commence à s'implanter sur tout les albums urbains des States, plombant l'énergie Pop qui peine ou ne peut alors à s'installer. Encore si ce qui était dit faisait dans l'originalité ; mais non ! On est au même niveau que les messages progressistes qui défilent en boucle sur nos réseaux « BlablaBl'Amour plus fort que la Haine, BlablaBlack Lives Matter, Blabla La famille, TMTC LGBTQ etc… »
Donc on avale, on apprécie tout de même la technique qui offre de courts instants magiques, mais sans grandes compositions derrière, on finit vite par trouver ça indigeste. Des petits bouts de cool partout au milieu de rien. Les minauderies, bien que relaxantes, sont moins addictives que chez The Weekend, elles deviennent même insupportables sur « Holy Will », où Ian Isiah en fait trop, se croyant peut-être sur le plateau de “The Voice”. Et quand une pièce a le potentiel d'un tube, Dev ne la développe pas ; on a l'impression qu'il n'y croit jamais vraiment, comme sur « Minetta Creek » où il ajoute quelques effets lo-fi pour rendre lointaine toute possibilité Pop.
Parlant “lo-fi”, « Hé ! Mais… » vous allez me rétorquer « Ariel Pink, que tu défends, c'est pas un peu le même problème » ? Certes, il passe aussi d'une idée à une autre en un temps record mais le fait toujours dans un esprit de musicalité, tentant de rendre chaque partie aussi addictive que la précédente. Les transitions ne sont pas toujours très fines mais c'est compensé par le plaisir pris de retrouver des hooks, des mélodies que l'on attend, tout aussi prenantes que la suivante. Ici on patauge dans un énième journal adolescent, et si la vibe peut être bonne, elle ne dure que rarement, entrecoupée de passages moins musicaux, provoquant une frustration que l'on trouvait moins il me semble sur « Freetown Sound », son précédent… En tout cas, des tubes s'en dégageaient : « Augustine », « Hands Up », « Better than Me »… Ici en forçant, pourquoi pas « Saint »… en forçant encore plus, « Charcoal Baby »…
Alors que tu vois, sur une production de Quincy Jones, il n y avait pas besoin de forcer… Tout ça pour vous recommander son « The Dude » de 1981. Okay, c’est du Disco et il n'a écrit aucun morceau dessus mais écoutez au service de quoi il a mis sa technique, c'était quand même autre chose ! En même temps, on était en plein dans sa période Michael Jackson, à quoi d'autre pouvait-on s'attendre ? Pour ma part, j'attends maintenant la période Jackson de Blood Orange. Allé, fais le taf’ s'il-te-plaît…