Attention : cet album n’est pas un « tribute ». Je veux dire qu’on n’a pas réuni une brochette d’artistes exprès pour rendre hommage à l’artiste par des reprises plus ou moins inspirées.
Non, ce disque est constitué de morceaux de Brel enregistrés en anglais, entre 1967 et 2004 par des chanteurs de tous styles, dans leurs versions personnelles, au fil du temps.
Ce qui confère à cet ensemble décousu, une intéressante et excitante variété dans la découverte de morceaux connus revisités, relookés et redimensionnés. Et parfois même magnifiés.


Mais déjà, il faut savoir que l’impact des chansons de Jacques Brel sur le public anglophone est originellement indirect. D’ailleurs Brel s’en foutait bien de conquérir les ricains et les roastbeefs (*). En fait, c’est via les adaptations du poète Rod McKuen puis de Mort Schuman (oui-oui, l’homme de la neige sur le Lac Majeur !) interprétées façon « crooner » par le chanteur Scott Walker, que les chansons du grand Jacques ont passé la Manche et l’Atlantique.
Et la plupart des artistes ici présents sont en réalité, à la base, des admirateurs de Scott Walker qui n’ont découvert Brel que par conséquence procurative.


En tout état de cause, c’est la qualité et la force des chansons elles-mêmes qui a inspiré nos repreneurs, au rang desquels quelques pointures comme David Bowie dont on découvre une version en public d’Amsterdam (**) datant de 1970, voix-guitare 12 cordes, mal enregistrée mais extrêmement poignante. Tout comme la très différente version du même morceau par l’excellente Anne Watts. Scott Walker est là aussi, normal, mais un peu suranné quand même. Ce qui n’est pas le cas d’Alex Harvey, interprète en 1973 d’un sensationnel Next (Au suivant), grand moment de la compile, extraordinairement déjanté et magnifiquement orchestré. Génial !
Divine Comedy donne un excellent Jackie accordéon-guitare et la très jeune Emiliana Torrini (petite Bjork) une très sensible version trip-hop d’If you go away, allégé de ses ridicules paroles françaises. Marc Almond (ex-Soft Cell) est magnifique dans sa Litanie, tout comme l’ex Virgin Prunes Gavin Friday dans son Next électrique qui rebondit sur celui d’Alex Harvey .
On appréciera énormément la voix chaude de Paul Armfield pour une déclinaison folk irlandaise d’un morceau peu connu de Brel à la mélodie proche d’un Vesoul lent.
Et puis Terry Jacks qui fit un tube en 74 avec un Moribond parfaitement pop.
Sans oublier les deux grandes : Dionne Warwick - parfaite dans un If we only have love plein brio, de voix et de corps - et Nina Simone - tout en sensibilité et en retenue, piano seul et voix susurrante - .


Formidable réussite, cette compilation n’est pas un hommage à un chanteur belge; plutôt un hymne à l’universalité des bonnes chansons populaires et à l’infinité de leurs déclinaisons. Très fort !


(*) Petite anecdote : de passage à Paris dans les années 70, David Bowie, superstar, avait souhaité rencontrer Jacques Brel . Ce dernier avait violemment repoussé la proposition en précisant qu’il n’en avait rien à foutre de rencontrer ce « petit pédé ».
(**) Amsterdam, dont le thème musical est quasiment calqué sur l’air traditionnel Greensleeves

RolandCaduf
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le 14 mai 2021

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