Qui furent les Beastie Boys ? Ce fut l’un des groupes les plus influents de l’histoire du rap. Lorsque les oreilles du grand public étaient rivées vers The Smiths, Metallica ou Peter Gabriel en 1987, trois gringalets de Brooklyn vinrent complètement renverser l’ordre établi en hissant leur projet Licensed to Ill à la première place du Billboard 200, une première historique pour le Rap avec un grand R. Les Beastie Boys brisaient les codes, et devenaient par la même occasion les ancêtres de Mac Miller et sa mixtape K.I.D.S en inventant le Frat Boy Rap, un sous-genre musical aussi neuf qu’avérément misogyne. Un treize titres qui permit au Hip-Hop de tremper un doigt de pied dans le grand bain, puis d’être reconnu par ses pairs musicaux économiquement parlant. Ce fut aussi un album passerelle entre le Punk et le Rap, mariage qui sera plus tard célébré par le groupe Rage Against the Machine (1992) ou, dans une moindre mesure, par des artistes comme Don Toliver (2024) ou Kenny Mason. Mais ce qui suintait de la musique des Beastie Boys, c’était cette effervescence, cet amusement contagieux dont peu pouvaient se targuer il y a quarante ans, et dont le nombre est encore plus réduit aujourd’hui.
Mais deux irréductibles subsistent, deux ovnis, deux rappeurs biberonnés à Cartoon Network, aux animes de la génération Z et à la pop culture qu’ils imagent parfaitement dans leurs deux rocambolesques projets, le duo dénommé Joey Valence & Brae (ou JayVeeBee pour les intimes). Les deux jeunots, bien à la page niveau communication, tirèrent leur épingle du jeu en faisant exploser par inadvertance leur single Punk Tactics sur TikTok. La piste débute par des trompettes filtrées par un effet lo-fi cartoonesque, s’ensuit alors un refrain mixé de sorte que le duo vous boxe d’une oreille à l’autre. Lorsque vous êtes désormais dans les cordes, Joey et Brae s’échangent le micro avec autant d’énergie qu’il n’y a de références à la seconde : « Pick you up, spit you out like Jurassic (rugissement de dinosaure)», « Get over here like Scorpion », « Who’s got the High-Ground now Obi-Wan ? ». Le single, qui à terme occupera la place d’intro de leur premier album, offre une illustration nette et concise de ce à quoi aspire le duo : deux amis hyperactifs, confiants, arrogants mais bien trop geeks et joviaux pour être méprisés. Cependant, c’est un projet qui brille beaucoup plus lors de ses spasmes amphétaminés que lorsque les productions y sont plus aérées. Ce qui permet à cette recette, fun certes mais peu intellectualisable, de fonctionner, c’est l’intensité, le dynamisme et la promptitude de la plupart des pistes et du disque dans sa globalité - 31 minutes chrono en main. Le manque occasionnel de vie de certaines instrumentales (Dance Now) ou d’énergie de la part des interprètes (Drop !!) fait alors perdre du momentum acquis lors des pistes précédentes.
Puis arriva NO HANDS, un projet entier d’inventivité et d’énergie. La recette reste la même : on y rigole, on s’y retrouve, on s’y perd et on y bouge la tête erratiquement. L’offre musicale y est toujours aussi variée en passant par la DNB, le rock ou le boom-bap. C’est un menu alléchant, heureusement assaisonné de featurings d’une pertinence ahurissante. On y retrouve notamment Danny Brown, pourtant connu pour ses apparitions sur des pistes plus alternatives ou expérimentales - grands couplets sur les projets de Billy Woods et Kenny Segal en 2023 ou Brockhampton en 2021. Il s'accapare le micro dès la deuxième piste de l’album, rappe et crache toutes les références possibles provenant de sa personnalité de geek des pires quartiers américains : « Had your face fucked up like a 2K skin / My crew will bruiser, we’ll come through smashing (probable référence à Super Smash Bros du studio japonais) ». Malgré la tendance générale du public au mépris du rap sans message, bien que prise au dépourvu face à l’excellent Die Lit de Carti au minimalisme criant, le deuxième album des deux compères fonctionne à merveille et est même plébiscité par le public et la critique.
No Hands embrasse l’oisiveté endémique du jeune adulte. C’est un album qui incarne l’amusement et la dissidence, fièrement endossé via des pistes comme LIKE A PUNK. L’objectif étant de dénoter, de revendiquer leur charisme par leur originalité en oscillant entre DNB et guitare électrique saturée. Puis arrive LE banger house/rap WHERE U FROM. L’humour est dès lors de mise, la comparaison du premier couplet étant la supériorité d’une Honda Civic à une Prius. Quand des rappeurs plus établis comme Isaiah Rashad se moquaient d’offrir des Prius (9-3 freestyle), le duo étudié aujourd’hui tourne le modèle en dérision certes, mais en le faisant rimer avec l’idée que la masse veut leur ressembler : « I am CIVIC bitch you a prius / Stay Mad ‘cause they really wanna be us ». La moquerie s’étend même jusqu’aux codes établis du Gangsta Rap en ayant pour refrain « Where the hell you from » (phrase à l’origine de beaucoup d’altercations physiques des quartiers compliqués de la côte ouest) pour entamer un nouveau couplet par « Eat a booty like a titan » en méprisant par la suite toute la concurrence avec dérision : « I’m a street plant you a lab rat / Motel money but you stay at the ritz ». Les tonalités y sont électroniques, vibrantes et attrayantes. L’accessibilité est si criante que les têtes s’y hochent d’elles-mêmes. Malgré leur contre-courant musical assumé « Do you think anybody’s actually gonna dance to this ? » au début de THE BADDEST, leur euphorie, leur passion et leur joie communicative rendent leurs titres les moins dansants malgré tout pertinents. C’est aussi dû à des instrumentales grossières et efficaces comme OK qui évolue autour d’une simple 808, un extrait de trompette répétitif et du scratching digne de l’âge d’or du Rap US.
L’alchimie lyrique et musicale du duo transcende toutes les omissions navrantes du projet comme son manque occasionnel de diversité musicale ou narrative. C’est un duo, qui s’aime, qui se connaît, mais qui s’assume avant tout. Ils incarnent ce que la musique doit être : une envie, une passion et surtout un amusement. Même si c’est un art souvent vecteur de messages provocants, forts et impératifs, il doit aussi être émetteur de joie et d’innocence. Il se trouve qu’aujourd’hui, Joey Valence & Brae en sont les fiers messagers.