Nostril
7.3
Nostril

Album de Igorrr (2010)

Igorrr – Sequenza XV, pour ordinateur.

Plutôt que de l'appréhension, il y avait une formidable émotion fébrile à partir à la découverte de cet album d'un artiste dont je ne sais rien, proposé par quelqu'un dont je ne sais absolument rien, et dont je dois faire la critique. Sur quoi vais-je bien pouvoir tomber ? Que me veut-il, cet olibrius ? Et que cherche-t-il à me faire découvrir ? Pourquoi ? Autant de questions qui font 90% du charme (et de ma motivation) à participer à ce projet décidément génial de Bifibi. D'autant que pour un peu que l'on ne me propose pas une merde commerciale dégueulasse, ou quelque chose qui touche à mes bêtes noires (drum'n bass, dub, pop/rock/folk principalement) je suis plutôt bon public.

Et cet album recèle vraiment d'étranges surprises. Je suis d'ailleurs bien embêté pour la note. Pas mal de choses qui m'ont déplu, ou pour être plus juste qui ne m'ont pas convaincues, et beaucoup d'autres qui au contraire m'ont intéressé. C'est qu'il faut au moins lui reconnaître ça, l'oeuvre fourmille de choses, d'idées, et est d'une belle densité. Pour le coup, celui qui écrira une critique après une seule écoute me fera le plaisir de m'expliquer comment il fait, s'il a une oreille sur-développée et une mémoire sur le même format, où s'il est conscient de passer à côté de la moitié des choses.

Je dois d'entrée mettre un bon point pour le morceau introductif. Une introduction et une conclusion, ça se soigne. Et le premier contact avec cet album a été très riche. Et pour cause. Monsieur Igorrr n'attend guère plus de trente secondes pour nous asséner quelques bons gros kicks façon hardtech, j'avoue y avoir cru un instant. Directement, ça m'a rappelé ces sonorités bien crades écoutées pendant toute la nuit sur des murs d'enceintes plus imposants que performants dressés à la hâte par des bandes de punks à chien drogués jusqu'à la moelle. Bon, alors bien sûr, on est pas du tout là dedans, mais faut admettre qu'au premier morceau il y avait de cet esprit, un instant, et j'y ai bien cru. Au second ça se calme beaucoup d'ailleurs, ou disons plutôt qu'il commence plus à verser dans ce qui fera l'atmosphère générale de l'album, un breakcore sur fond de samples de musiques divers. Mais on retrouve par endroits ces gros kicks bien sales, qui me rappellent plein de souvenirs, et que presque malgré moi je ne peux pas m'empêcher d'apprécier (peut-être est-ce là la raison pour laquelle je haïs la drum'n bass alors que je tolère -voir j'aime, fonction de l'état- la hardtech, et, plus encore, le speedcore (poum poum à au moins 160+ bpm), qui en rebute pourtant plus d'un).

On m'a appris qu'il s'était auto-qualifié d'artiste de « barocore » (aucune idée de l'orthographe, un mélange à l'image de sa musique, entre « baroque » et « breakcore »). C'est intéressant. Cet album me fait un peu penser à ce morceau délicieux (et un peu plus méchant) qu'on arrêtait pas d'écouter avec Soma lors de soirées y'a quelques années http://www.youtube.com/watch?v=DYIgpVKuyRI , pour le plus grand malheur de nos pauvres collègues plus habitués à de la pop/rock guimauve à base de guitares électriques (ça a plein de noms sophistiqués très à la mode, on ne m’enlèvera pas de la tête que c'est chiant comme la pluie. Non, j'aime bien ça la pluie. Bref).

Du côté de ce qui me dérange, clairement il y a la tendance dangereuse que ça prend parfois à virer à la techno musette. Genre haï parmi les genres haïs, ce mélange de techno et de musette (accordéons, musiques pour babsouilles du collège/lycée) me répugne particulièrement. Et parfois, la forme de la chose obligeant, on vire un peu à ça, voire beaucoup. La faute aux samples finalement.

Parlant des samples, on peut admirer une belle diversité, à commencer par le premier morceau qui verse bah dans la techno musette vers le milieu (brrrhh), mais aussi au tout début dans des sons orientaux, du chant diphonique (mongol ? Thibétain ? Inuit ??), des guitares saturées, etc, et bien sûr un délicat fond rythmique. C'est ce qui a donné le titre doucement ironique de cette critique, en référence à Berio, plus particulièrement à sa fameuse troisième Sequenza, pour cette chère Cathy, où il (elle) utilise la voix de la façon la plus complète possible, chanté, parlé, cris, rires, bruits, raclements, grognements, et tout ce que l'on peut imaginer. Je recommande de l'écouter dans le noir, assez fort afin de profiter de toutes les nuances vocales qu'elle offre, allongé, ou en faisant le poirier pourquoi pas, ce doit être complètement fou, les yeux fermés bien sûr. Alors c'est sur, c'est d'une autre trempe, puis c'est Cathy, cette femme qui ne cessera jamais de m'impressionner, mais dans l'idée y'a quelque chose de commun, cet assemblage structuré d'un maximum de possibilités, obéissant à une logique imparable.

Compliment qui entraîne un reproche. Belle diversité certes, mais est-elle bien exploitée à fond ? Là je dis non.
De plus il y a un certain mauvais goût dans le choix des samples. Pas toujours, comment ne pas apprécier de retrouver des chants diphoniques ! Et je ne parle pas de mes goûts personnels, j'apprécie ici même des musiques que je n'aime pas particulièrement d'habitude (métal) pour la bonne raison qu'elles sont ici autres choses, découpées et rassemblées entre les mains du docteur comme dit si bien Ju, ou en un nouveau Nostril, 43g (faut en prendre combien pour les hallus ?). Reste que certaines facilités sont largement exploitées. La musique baroque. Too easy. Moi je veux qu'il sample John Cage jouant avec son I Ching, Ornette Coleman jouant du free-jazz en double quatuor, la voix de Neil Young sur « Transformerman », « Stimmung » de Stockhausen, le « Quatuor pour la fin des temps », et même l'horrible Debussy, pourquoi pas ! Mais pas des trucs aussi simples, c'est vexant pour l'amateur de musique classique.
Aussi je trouve dommage (même si ça c'est encore plus personnel) qu'il ne fasse pas plus référence à ses origines. Allez, un petit coup, discrètement, de Pierre Henry, de Xenakis, de Tristan Murail... Fais nous entendre que tu connais un peu les origines de ta musique, ce qui a participé à son évolution, tu as une liberté fantastique par ce gigantesque patchwork musical, profites-en à fond !
Bon, je suis conscient de faire un peu le coup du mec qui te regarde cuisiner, et qui n'arrête pas de te donner des conseils un peu autoritaires sur la « meilleure » façon de faire ce que tu es en train de faire. « Et là, tu devrais pas faire plutôt comme ça ? Attends, non, comme ça ça sera mieux, tu vas voir ». L'horreur quoi, si tu n'es pas content fais le toi-même. Et oui mais le problème c'est qu'ici je suis bel et bien là pour faire le mec qui croit savoir mieux cuisiner que toi alors qu'il n'a jamais essayé, alors assumons le rôle.
Puis je reste un peu déçu sur la variété et la pertinence du choix des morceaux samplés.

En revanche, je lui reconnais ce qui m'apparaît une belle maîtrise rythmique. Après je n'y connais rien, je suis habitué rythmiquement à des choses plus simples, plus faciles à entendre. Mais ça tient debout, ça semble cohérent dans son ensemble, et pour reprendre une expression conchiée par ce cher J.-J. Nattiez, une bonne « unité dialectique » rythmique. On a quand même une bonne quantité d'éléments qui gravitent dans un même morceau, et malgré le fait que j'ai souvent du mal à me fondre dans le rythme (la faute à ces breaks très rapprochés, même si ça doit faire partie du genre je suppose), je n'y suis pas trop mal, et par moment, l'immersion est même réussie.

Pour la forme, les formes, on constate un souci de changement d'atmosphères au sein de l'album. C'est un bon point. L'écueil de la répétition (qui n'en était pas vraiment un chez Dubmood, comme on a pu le voir grâce aux différentes cirtiques), du rabâchage, n'aurait pas fait bonne impression chez Igorrr, et aurait vite conduit à une prise en intra-veineuse de Lirtson, 43g. Ou d'un bon tranxène 50, à l'ancienne, tout simplement. Non, ici, Nostril joue (et rage aussi je crois), et joue avec son auditeur, le promène d'une ambiance à un autre. C'est comme se retrouver dans un musée, ou l'on nous promènerait de l'homme-ours-porc à la créature de Frankenstein en passant par toutes les êtres de l'île du docteur Moreau.
J'aime bien cet album, il me rappel la façon dont je fais mes critiques : je m’imprègne beaucoup de l'univers, puis tout en continuant, j'écris ça et là les idées qui me viennent à l'esprit, parfois des bribes de phrases, quelques mots, des impressions, ressentis, d'infimes éléments d'analyse et autres réflexes et déformations professionnelles, puis j'en développe la plupart, j'en efface complètement d'autres, entre temps d'autres idées me viennent que je note quelque part, auxquelles je fais subir le même procédé et quand j'ai tous mes morceaux de prêts, je les ordonne et les agence, les couds ensemble, plus ou moins mal, en fonction de ma motivation. La qualité de couture mise à part, y'a beaucoup de ça ici je trouve. Un truc qu'on fait tous les deux aussi, bien que lui pas assez et moi trop, je m'arrange toujours pour raconter un peu de ma vie au milieu d'une critique, j'aime les rapprochements plus personnels (et qu'on m'interdit bien sûr à la fac, frustration !)
Sinon il y a vraiment plein de choses à dire sur Excessive funeral. Ce qui m'a bien marqué, que j'ai apprécié (c'est bon, j'abandonne complètement l'idée de faire une première partie sur les défauts et une seconde sur les qualités, tout restera mélangé ici), c'est justement cette distanciation qu'il pose avec sa musique. Conscient du trop plein confinant à l’écœurement dont fait preuve ce morceau, il le titre d'emblée comme « excessif », et ça permet de mieux l'appréhender, de ne pas en être rebuté. Ce qui aurait pu passer pour d'effroyables lourdeurs et un manque critique de subtilité se transforme en un second degré cabotin, et donne une autre perspective sur le reste de l'album, je plussoie (D'ou vient cet horrible verbe, « plussoyer » ? A bannir).

Il faudrait que j'écoute plus encore l'album afin de repérer un peu si l'on trouve des correspondances entre les différents morceaux, des samples du deuxième dans le neuvième, ou que sais-je, mais le délais imparti ne me permettra jamais ça, c'est un travail de longue haleine. Que je laisse à Ju.

Un album qui dérange, je ne peux pas complètement détester. Je dirais que je suis mitigé, certes, mais encore une fois j'apprécie le travail, une certaine audace, Certaines idées, certaines associations... J'ai hésité entre le 5 et le 6, deux notes tout à fait honorables chez moi.
Un choix très pertinent, Ebow, vivement le prochain, si tu t'es sorti l'idée du conventionnel de la tête bien entendu. Je voulais être secoué, me voilà servi. Je crois d'ailleurs qu'à l'instar d'un cocotier, il en est tombé un nain de jardin, effectivement.
Sinon, j'avais peur qu'on se retrouve tous à faire les même critiques, avec les même choses à dire, mais alors pas du tout, c'est très agréable, on voit tous les différents points de vue et la façon qu'ils trouvent pour s'exprimer, génial. Décidément je suis de plus en plus emballé par ton idée, Bif.
Adobtard
5
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le 7 févr. 2013

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Adobtard

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