Dans la rubrique album culte d’un auteur maudit voici Roar d’Alexander Spence. Il a côtoyé les plus grands, sa carrière commence avec le Quicksilver Messenger Service en tant que guitariste, se poursuit au sein du Jefferson Airplane en tant que batteur puis il devient co-fondateur de Moby Grape. Une trajectoire brillante qui devrait le projeter au panthéon du rock… Mais sans le savoir il a tiré les mauvaises cartes et sa vie va basculer inexorablement sur un coup de folie…
La scène se déroule à l’hôtel, lors de l’enregistrement du second album de Moby Grape, il est d’usage alors de présenter les albums dans deux versions différentes, la première en mono, l’autre en stéréo. Sans doute chargé plus que de raison, quand il entend pour la première fois la version stéréo de l’album, il est tellement déçu par ce qu’il écoute qu’il entre dans un état second, pris d’une crise de rage violente. Il se saisit alors d’une hache d’incendie et défonce la porte de son producteur. Cet accès de folie va le précipiter à l’hôpital psychiatrique où on le déclare schizophrène, c’est là qu’il va penser, imaginer et créer l’album de tous les excès.
Pour financer son projet d’album Columbia lui confie la somme de mille dollars. Alexander sait ce qu’il veut, son album, il sera enregistré à Nashville ! Malgré l’hiver et le froid il achète aussitôt une moto direction le Tennessee, arrivé à destination sa bourse est déjà vide, qu’importe, il va jouer seul de tous les instruments ! Le décor est planté pour ce qui restera l’album le moins vendu de l’histoire de Columbia !
L’ingénieur du son prendra le parti de laisser tourner les bandes, les sessions dureront sept jours pour ce qui restera un grand malentendu entre Alexander Spence et sa maison de disque. En effet pour le musicien il n’y a pas de doute, il s’agit là d’une simple maquette, mais l’album sortira sous cette forme et deviendra le fiasco financier dont on a parlé. Toutefois l’album sortira du néant des années plus tard et sera réévalué par la critique. On y entendra le souffle dément de Syd barret, le folk déjanté de Beck, les sonorités low-fi devenues à la mode avec Brian Jonestown Massacre, les guitares folles de Sun Dial et tout un pan de la « drone-music ».
Avec un mauvais goût consommé il ne se donnera même pas la peine de mourir à vingt-sept ans comme il aurait dû, Moby grape le soutiendra jusqu’au bout en jouant ses compositions ce qui lui vaudra quelques royalties. Il décèdera en 1999, trente ans après la création de son œuvre la plus belle mais aussi la plus difficile. Il ne suffit pas d’écouter une fois, les subtilités vocales (on pourrait dire les marmonnements), les changements d’accords brutaux, l’architecture brinquebalante des morceaux constituent un réel obstacle qui ne découragera certes pas les admirateurs de Syd Barret.
Le Rock aime à déterrer, au milieu de ses déchets, les efforts torturés de ses enfants les plus maudits.