Obscured by Clouds (OST)
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Obscured by Clouds (OST)

Bande-originale de Pink Floyd (1972)

Lors des séances d'Ummagumma en 1969, les quatre Pink Floyd avait accordé une faveur au réalisateur Barbet Schroeder en enregistrant la bande sonore du film More... en huit jours. Le résultat, considérant ce court lapse de temps, est plutôt pas mal mais manque quand même de piquant, tout comme l'objectif initial, Ummagumma, qui sortira quelques mois plus tard. La même chose se produit en 1972: alors que le groupe est immergé dans la réalisation de ce qui sera leur album fétiche The Dark Side of the Moon, Schroeder leur demande gentiment de composer un autre soundtrack pour son deuxième film La Vallée (Obscured by Clouds). Le groupe accepte et le résultat sera tout à fait satisfaisant... tout comme l'album qui le suivra de peu. En considérant en plus le fait que l'album a été enregistré en deux semaines, on pourrait même qualifier ce disque de véritable chef-d'œuvre.

Je n'ai absolument aucune envie d'utiliser le mot "sous-estimé" ou "sous-évalué" (mot qui apparaît au moins un billion de fois dans les commentaires d'une chanson sur YouTube), mais force est de constater que le public (et surtout les critiques) prête peu d'attention aux disques mineurs des groupes de rock (ça ne vaut pas seulement pour Pink Floyd) et en l'occurence, celui-ci mérite vachement le détour (et une ré-évaluation positive).

Le disque commence par deux instrumentaux pour le moins agressifs. Obscured by Clouds possède des nappes de synthés totalement planants sur lesquels s'intercalent un beat hypnotique (joué sur l'un des tout premiers modèles de batterie électronique!) et des cris de guitares aigues. Simple mais efficace, le tout donne l'impression de marcher en ville le soir et incite à l'aventure. La piste suivante, When You're In, marque l'un des rares flirts avec le hard rock dans la carrière de Pink Floyd, avec un Nick Mason déchaîné sur sa batterie, une Black Strat virulente de la part de David Gilmour et un orgue rugissant de Richard Wright (quant à Roger Waters, on ne l'entend pas trop, mais on devine facilement qu'il assure à la basse). Le riff principal est très entraînant, bien qu'un peu répétitif. Les deux plages introductives ne sont donc pas forcément des morceaux indispensables dans la discographie du groupe, mais restent de très très bon fillers, assurément meilleurs que ceux que l'on trouve sur The Wall voire The Dark Side of the Moon. La première vraie chanson de l'album, Burning Bridges, est une très belle ballade jazzy, très apaisante, qui met extrêmement bien en lumière les talents de pianistes ainsi que la voix de Wright, héros incontesté de cette harmonieuse piste. The Gold It's In The... est encore un excellent flirt avec le hard rock, dont la moitié de la chanson est constituée d'un très bon solo de guitare de la part de Gilmour. La musique et les paroles sont très évocatrices du contexte du film (c'est selon moi celle qui le caractérise le mieux) et nous exhorte à sortir et explorer. Le meilleur morceau du disque (et du groupe en général, selon moi) se trouve juste après, avec l'exceptionnelle ballade Wot's... Uh The Deal, très représentative des talents du groupe, les exemplifiant tous: paroles soignées (parlant de vieillesse, un thème recurrent chez Waters), une ligne de basse alléchante, des guitares acoustiques et électriques émotionnellement parlantes, un piano extrêmement lyrique joué par Wright (les intermèdes instrumentaux sont vraiment magnifiques!), la batterie relaxante de Mason, et la douce voix de Gilmour, omniprésente sur l'album précédent Meddle... bref, tout y est! Cette chanson, qui pourrait être qualifiée de mélange jazz-folk, se distingue vraiment des autres pistes de l'album par la finesse de sa musique, simple mais d'une beauté touchante. On pourra peut-être regretter le titre du morceau, qui ne colle certainement pas avec son charme musical. La fin de la Face A est assurée par Mudmen, une version instrumentale de Burning Bridges qui insiste sur les guitares pleurantes de Gilmour, effectivement bien mises en évidence et secondées par Wright avec ce morceau. Le guitariste débute la deuxième face avec le deuxième chef-d'œuvre d'Obscured by Clouds, Childhood's End, qui définira clairement le futur son du groupe. On admire son refrain à la guitare ainsi que son solo, très engageants, et l'orgue de Wright qui ponctue chaque fin de couplet de manière extrêmement satisfaisante. Une très bonne chanson, donc. La sympathique ballade folk Free Four qui s'ensuit valorise encore une fois l'importance thématique des textes de Waters, qui reparle encore une fois de vieillesse. Les solos de Gilmour à la première minute et demie, bien que relativement court, avec les claps des membres du groupe, sont aussi des parties très jouissives de cette petite ballade aux accents pop. Bon, ce n'est peut-être pas du grand Floyd, mais ça reste très sympathique et conséquemment très efficace, comme la chanson suivante d'ailleurs, Stay, une autre magnifique ballade au piano de Wright, toujours aussi lyrique. Notons qu'Obscured by Clouds, ainsi que les deux trois albums précédents, marquent un sommet dans l'expressivité du pianiste, qui ne donnera que très peu d'occasions par la suite pour nous faire entendre sa poésie musicale, dont la présence deviendra un peu plus difficile a discerner par la suite. La piste conclusive marque pour plusieurs l'ombre du disque. Honnêtement, je n'ai jamais trop compris pourquoi on crachait autant sur Absolutely Curtains, qui, si l'on exclut les deux dernières minutes, constitué du chant des Mapuga, tribu du film, reste un instrumental tout à fait honorable. Qui ne s'émeut pas à l'entente de ces nappes d'orgue, qui évoquent si bien la nostalgie et le mystère, à cette ambiance d'adieu? Même si franchement les chants indigènes sont un peu casse-couilles (attention, je ne suis pas raciste) et font de cette tentative de world music une experience un peu ratée, Pink Floyd a déjà produit pire.

Au final, Obscured by Clouds est un disque tout à fait honorable de la discographie du groupe, n'étant certainement pas le plus aventureux musicalement, mais d'une efficacité et esthétique irréprochables, offrant un contraste étonnant entre ballades calmes et certains de leurs morceaux les plus hard de tout leur répertoire. Et en plus, le truc a été enregistré en deux semaines, donc, franchement, chapeau!

Un petit mot sur la couverture: on a déjà connu mieux, mais la palette de couleurs de cette photo floue est plutôt agréable.

1. Obscured by Clouds (7,5/10)

2. When You're In (8/10)

3. Burning Bridges (9/10)

4. The Gold It's In The... (8,5/10)

5. Wot's... Uh The Deal (10/10)

6. Mudmen (8/10)

7. Childhood's End (9,5/10)

8. Free Four (8,5/10)

9. Stay (9/10)

10. Absolutely Curtains (7/10)

(Le gras indique ma chanson préférée du disque)

En conclusion, la note que je confère à cet album est un 8,5/10. On n'est pas face aux chefs-d'œuvres intemporels que sont Wish You Were Here, Animals, Meddle, The Dark Side of the Moon (et Atom Heart Mother, j'oserais dire, mon album préféré), mais certainement devant un contenu de très haut niveau, digne de figurer parmi les meilleurs moments de la discographie pink floydienne.

Herp
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le 1 oct. 2024

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Herp

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