Avec une tristesse rigoureuse
Je ne sais pas vraiment de quelle interprétation il s'agit, mais à vrai dire peu importe. J'ai le sentiment que les compositions de Satie sont autant faites pour être jouées que pour être écoutées. Essayer de déchiffrer ces partitions sans mesures et faire sonner ces quelques notes sur son piano désaccordé, avec la maladresse qu'implique sa situation de petit pianiste amateur sans éducation, a quelque chose de touchant que ne pourra vous donner l'écoute d'un millier d'interprétations différentes.
Cela tient à la simplicité et la malléabilité des pièces. Les Gymnopédies sont emblématiques. Dans les grave : une note, un accord, une note, un accord, une note, un accord. Répétez et modulez le rythme à votre convenance, selon votre humeur, la pression atmosphérique et autres paramètres, répétez trente ou quarante fois si vous le souhaitez. Puis lorsque vous vous sentez prêt, laissez glisser votre main droite vers les aiguës et là, tout sera parfait.
Un rythme de fond et quelques notes pour agrémenter, une toile blanche et de petits points noirs. Voilà l'essence même des "Gymnopédies", comme aime les appeler Satie, jamais pièces n'auront été d'une simplicité aussi exemplaire tout en étant d'une richesse certaine.
Les Gnossiennes conservent ce schéma tout en modifiant un peu le rythme et surtout l'ambiance, maintenant mystérieuse et grave. Satie en profite pour supprimer tranquillement toute notion de barre de mesure sur la partition et commence à se moquer de nous et de notre petite solitude idiote devant ce piano désaccordé, avec ces légers accords dissonants et ces petites phrases indicatives "Munissez-vous de clairvoyance", "Postulez en vous-même", "Ouvrez la tête"...
Pourtant c'est à ce moment qu'on s'imagine ce cher Satie, penché sur son piano, broyant du noir, désabusé et cynique, cherchant quelques accords et enchaînant pendant des heures et des heures le même schéma : une petite note, un accord, une petite note, un accord, une petite note, un accord...