Avouons-le d’emblée, assumons notre honte : nous ne connaissions pas Kate Stables, autrice-compositrice et chanteuse à la voix merveilleuse, anglaise mais installée à Paris, avant de la découvrir, épatés, avec sa formation This Is The Kit au Festival Rock In the Barn en septembre dernier ! La parution de son cinquième album, "Off Off On", est donc une occasion parfaite d’entrer pleinement dans l’univers, qu’on qualifiera paresseusement d’indie folk, de cette artiste aussi inspirée que… charmante.
Charmante est un qualificatif facile, mais assez médiocre quand même, admettons-le, pour une musique qui est plus retorse qu’elle paraît au premier abord : car oui, l’intro avec "Found Out", et son banjo (est-ce du banjo ?) et sa douceur joyeuse annonce un album doux et cajoleur, tout-à-fait susceptible de nous aider à affronter le second confinement qui, pluie et frimas d’automne l’imposent, s’annonce plus déprimant que le premier. Heureusement, tandis que, sur scène, l’électricité et la guitare de Neil Smith font décoller les belles ritournelles folk de Kate, c’est plutôt en profondeur que va se déployer "Off Off On". Et les premières écoutes, trop distraites sans doute, de ces onze chansons gracieuses qui construisent une atmosphère envoûtante, vont laisser place peu à peu à des mini-coups de cœur, voire à une véritable addiction à certaines de ces chansons, qui valent beaucoup mieux que ce que leur joliesse évidente peut laisser penser.
L’accélération du rythme et la guitare électrique qui grince sur "This Is What You Did" confirme que tout n’est pas que béatitude et sourires lumineux, loin de là, dans l’univers de Kate Stables : « Is it holding you down / This great weight and this flattening? /And it’s breaking you up / All your frequencies shattered in » (Est-ce que ça te cloue au sol / Ce poids terrible, cet aplatissement ? / Et ça te brise / Toutes tes fréquences sont en miettes). Les cuivres soyeux, les tonalités jazzy et les chœurs tendres de "No Such Thing" soulignent en fait le trouble très contemporain quant à notre identité.
"Off Off On n’est pas non plus", et c’est heureux, l’un de ces albums « puristes » où le dépouillement musical le plus forcé est sensé souligner la perfection du chant : ainsi "Slider", avec sa riche orchestration cuivrée et sa suavité opulente nous éloigne du simple folk pour créer un univers plus complexe, où la munificence des sensations contredit le désarroi de la chanteuse. "Coming to Get You Nowhere", sa mélodie inspirée et, encore une fois, son jazz chaloupé, constitue le premier sommet de l’album, ou du moins le titre qui nous confirme que This Is The Kit fait une musique qui pourrait bien nous devenir indispensable… alors que Kate a expliqué que cette chanson magique a justement été construite au hasard, sans thème évident ni sujet clair !
On reconnaît parfois un grand album quand il nous devient de plus en plus important au fil du temps, mais aussi quand on a le sentiment que chaque chanson est meilleure que la précédente : c’est sans doute dû tout simplement à la complexité d’un univers musical dans lequel on pénètre à chaque fois comme dans une nouvelle forêt enchantée, où les clairs-obscurs chatoyants dévoilent peu à peu des secrets intimes.
Toujours est-il qu’après la ballade légère "Off Off On", le triplé final de l’album s’avère absolument parfait : "Shin Bone Soap" est une folk song dépouillée qui va rechercher des sensations presque primitives – sentir un morceau de savon, tenir un os entre ses dents – et les explorer à l’aide de mots dont le sens importe moins que leur goût dans la bouche ; "Was Magician" est la plus grande merveille de l’album, puisque, inspirée par des personnages fantastiques de l’écrivaine de SF Ursula K Le Guin, Kate construit une prière intense, célébrant la capacité – et la volonté – de la jeunesse de « sauver notre planète », sans recourir à un message écologiste simpliste pour autant ; le long (plus de six minutes) "Keep Going" clôt l’album sur une note plus positive, après les doutes exprimés dans les chansons précédentes, et la mélancolie qui se dégage des accords de guitare et de piano sublime les mots plein de foi en l’avenir de Kate : « This love is still ours / This love was ours / This love has been ours… ».
[Critique écrite en 2020]
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