Sophie est mort hier en Grèce, en grimpant sur un truc à 4 heures du matin pour regarder la pleine lune.
L'occasion pour moi de faire un petit compte-rendu de sa succinte carrière sur laquelle j'ai gardé un oeil intrigué depuis quelques années après avoir découvert BIPP, single power-pop IDM à cheval entre PC Music et Warp Records.
Sophie est comparable au vénézuélien Arca sur plusieurs points : tous deux sont producteurs de musique électronique assez forts sur l'expérimentation sonique, jouant beaucoup sur le contraste entre des grosses basses et beats bruitistes et des voix et nappes douces. Tous deux travaillent également sur la confection d'une esthétique excessivement féminine, se mélangeant avec les sons ultra-masculins évoqués précédemment.
Belle illustration de production artistique traduisant la personnalité et les obsessions de son créateur, Sophie et Arca étant deux types atteints de dysphorie de genre, travaillant leur apparence pour ressembler plus ou moins à des femmes (leur objectif étant plutôt d'être hybride entre les deux genres), et créer une esthétique mixte, almodóvaro-mélodramatique néo-cyberpunk cradingue pour Arca, et proprette kitsch bubblegum pour Sophie.
La musique de Soso mélange l'influence de la pire pop à paillettes ricaine des années 2000, produit d'une société consumériste basée sur l'idéologie du tout-achetable (dont PC Music a déjà prouvé contre toute attente le potentiel à en faire autre chose que de la daube), avec sa némésis, l'électro technoïde, froide, violente et nihiliste. On se retrouve avec la fusion improbable entre une Katy Perry sous MD en cosplay Hello Kitty et un Aphex Twin qui serait fan de trap grosse couille.
Alliance de concept prenant son sens quand on écoute Faceshopping : my face is the front of shop, ou comment l'apparence est l'arme de prédilection du marché, I'm real when I shop my face, c'est-à-dire que dans une société aussi malade, se charcuter la gueule ("chop") est vendu comme la solution à la plénitude existentielle. Derrière une vitrine immaculée hyperhollywoodienne, et les promesses de bonheur durable : le sordide sanglant et métallique d'une salle d'opération, et la simple et triste escroquerie.
Les longues nappes lugubres de Pretending nous font voguer sur la souffrance terrible qu'engendre la dysphorie de genre, trouble pour l'instant incompréhensible dans notre Âge de Pierre de la psychiatrie, aubaine pour le marché qui peut proposer sa camelote comme une solution à la détresse, alors qu'il mène sur une impasse au moins aussi douloureuse.
Dès lors, il ne reste qu'à pleurer sur la chanson sympathique It's Okay To Cry, sorte de bande-originale de Disney des années 90 avec la voix de Cher période Believe.
Malgré une approche esthétique sympa, l'album est disparate et assez peu agréable à l'oreille. Vu la technicité et l'intelligence lucide qu'on déduit de ses paroles, je pense que Sophie aurait pu faire des choses bien meilleures par la suite.
Mais cet album s'en tient à l'état d'objet artistique intéressant, témoignage d'une douleur qui aura été l'un des standards envahissants des questionnements sociologiques d'un occident définitivement vieillissant du début du XXIème siècle.