« There’s a hand reaching past the glands / ripping out all of the contents. / And there’s a sense of sadness / but only in what we’ve always been taught to listen with / I’m a waste and so are you in the face / of all the stuff from the guy in the clouds who shouts down at us » (Il y a une main qui dépasse les glandes / arrache tout le contenu. / Et il y a un sentiment de tristesse / mais seulement dans ce avec quoi on nous a toujours appris à écouter / Je suis un déchet et toi aussi, par rapport / à tout ce qui vient du gars dans les nuages qui nous crie dessus).
Les premières phrases de "The Pest", l’introduction de "On All Fours" (soit : à quatre pattes…) qui… « peste » contre notre pusillanimité devant la crise climatique, le second album de Goat Girl, ne font ni dans la légèreté ni l’optimisme : non, même si une indéniable maturité pointe son nez, les filles n’ont pas totalement abandonné leur goût pour la confrontation. Nos Londoniennes de Brixton nous promettent d’emblée du sang et des tripes, de la haine et du mépris, du désespoir et des cauchemars. Mais, surprise, surprise, ce vidage de sac et d’intestins ne va pas prendre la forme d’une décharge post-punk de rage électrique : au contraire, dans un virage formel assez inattendu, Goat Girl nous offrent une heure de musique complexe, plutôt calme et réfléchie, souvent planante, presque « progressive » oserait-on dire…
… Une musique qui se déploie et prend régulièrement une ampleur émotionnelle étonnante, un lyrisme inédit, comme sur le quasi instrumental – et superbe – "Jazz (In the Supermarket)". Une musique qui va, sans effort apparent, transporter Goat Girl sur un terrain nouveau : il y a ici pas mal de machines, de synthés, de beats électroniques, du saxo même (sur le planant "The Crack") qui viennent enrichir le son de Goat Girl (… même si les guitares ne sont pas, heureusement, totalement abandonnées…). De la même manière, même si l’expérimentation sonore règne en maître, le recours à des formes pop accrocheuses n’est pas sacrifié : les vocalises de "Badibaba", par exemple, sont d’une efficacité redoutable, tandis que le premier single, "Sad Cowboy", a beau nous parler de notre sentiment de perte croissante de rapport à la réalité (« Slipping my hold / It comes and it goes / The feeling we’re told, isn’t so » – Ça me glisse entre les doigts / Ça vient et ça va / Ce sentiment dont on nous dit que, non, ce n’est pas comme ça…), grâce à la voix de Lottie Cream dansant sur des synthés joueurs, on pourra toujours se raccrocher à une mélodie accueillante.
Souvent lyriques dans leurs envolées, facilement dissonantes, aussi anxiogènes qu’apaisantes – suivant notre propre état d’esprit quand on les écoute – les chansons de "On All Fours" composent une étrange odyssée : on s’y engloutira corps et âme, on s’enthousiasmera souvent devant des envolées superbes, on s’y perdra et s’ennuiera même parfois, parce que l’ennui est aussi un thème majeur de l’album. Quand l’album devient par instants un peu trop langoureux, en particulier dans sa seconde partie ("They Bite on You", par exemple, manque un peu de mordant, jusqu’à un décollage qui rattrape la sauce…), on regrettera sans doute l’énergie exubérante des débuts du groupe – alors même, avouons-le, que cette énergie nous semblait parfois épuisante…
Finalement, on tirera notre chapeau devant un album aussi complexe, aussi ambitieux : "On All Fours", souvent somptueux, parfois plus anodin, souffre finalement surtout d’être trop long, à l’instar de beaucoup d’albums contemporains. Réduit à 35 minutes, en ne gardant que les meilleurs morceaux et en les raccourcissant, on tenait sans doute là l’un des tous meilleurs disques de 2021. Mais cette opulence, même mal maîtrisée, confirme surtout que Goat Girl est, avec leurs collègues de Black Midi, l’un des groupes les plus passionnants, les plus prometteurs de l’Angleterre post-Brexit.
Gageons que, si elles continuent sur cette lancée, leur troisième album les placera fermement au sommet.
[Critique écrite en 2021]
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