Origin of Symmetry
7.3
Origin of Symmetry

Album de Muse (2001)

J'ai grandi avec Muse. Ce groupe me suit de près ou de loin depuis mes 14 ans et je pense pouvoir dire que je le connais plutôt bien. N'ayant pris le wagon que vers 2006, je suis arrivé un peu sur le tard dans la vie du trio de Teignmouth mais lui a débarqué très tôt dans la mienne, s'imposant très vite comme une référence encore indélébile aujourd'hui. Comme la plupart de ses fans, j'ai suivi entre distance et amertume son évolution au cours des albums, devenant ce monstre des stades qu'il est devenu si commode de descendre par principe. J'avoue que je suis maintenant totalement désabusé par la plupart des critiques qui font à mon sens preuve soit de méconnaissance de l'oeuvre, soit de pure mauvaise foi. Après tout la pensée est libre, et ça ne m'empêche pas de dormir.


Par où commencer ? Je suis d'ordinaire assez peu enclin à analyser des albums aussi réputés qu'Origin of Symmetry, pour la simple et bonne raison que tout a plus ou moins été dit dessus. Mais je suis allé lire l'ensemble des critiques sur le site (citons entre autres celles, très bonnes comme d'habitude, de Plug in Papa et Adriou) et il m'a semblé que le tour de la question n'avait pas encore été fait, et que j'avais également mon mot à dire. Bordel. J'ai même été surpris : on a tant reproché à Muse de vouloir à ses débuts singer Radiohead, la faute à Sober certainement, et plus généralement au fait que le producteur de Showbiz n'est autre que celui de The Bends. Ce reproche s'est fait si insistant qu'il est devenu une sorte de marronnier pour les détracteurs du trio anglais. Un intérêt pas si impertinent pour la prod donc, puis... Silence. What ?


À n'y rien comprendre. Des pages et des pages sur le deuxième opus du groupe et pas un mot pour ses ingénieurs. Alors que nom d'une reverb à ressort, y a de quoi faire sur le sujet ! Outre que par le groupe lui-même, OOS a donc bénéficié des mains expertes de deux mammouths du milieu : John Leckie d'une part, Mr Showbiz/The Bends dont on n'entend désormais étrangement plus parler, et un certain Dave Bottrill d'autre part. Allez je vous mâche le travail et je commence par le dernier intéressé, déjà derrière la Neve sur l'immense Ideal Crash (1999) des Belges de dEUS. Si ça ne vous dit rien, il est urgent d'aller jeter une oreille au travail de la bande à Tom Barman, dont le goût prononcé pour le build-up n'est pas sans rappeler celui de nos 3 rosbeefs en question. Rien d'anodin ici donc, bien au contraire. Commence alors l'enregistrement en 2 phases du futur chef d'oeuvre de Muse.


Origin of Symmetry est écrit en grande partie pendant la tournée de Showbiz, par un trio à l'aube de la vingtaine découvrant les frasques de la route, avec son lot de débauche et de substances plus ou moins recommandables. Une première salve de titres est vite confiée à l'ami Bottrill, qui entame l'enregistrement de l'épine dorsale d'OOS dans le Surrey. L'output est considérable, avec les trois premiers singles du disque. New Born, dont l'intro en accords arpégés rappelle un morceau de Philip Glass, est la rencontre au sommet entre Muse et Bottrill. Au piano succède un riff de guitare ravageur dégoulinant d'une fuzz "velcro", qui deviendra une des signatures du groupe. La basse psychédélique de Chris Wolstenholme guide le morceau vers l'explosion finale en forme d'énorme coup de poing sur la table. First blood. Les arpèges sautillantes de Bliss et le riff entêtant de Plug in Baby confirment le premier diagnostic : Muse appose là son empreinte sonore de manière bien plus prononcée que sur le premier album, alors que Bellamy entame en 2001 son aventure folle avec le luthier Hugh Manson.


Petit aparté pour les furieux du matos. Bellamy commence donc par faire fabriquer trois guitares chez Manson, les premières d'une interminable série encore en cours aujourd'hui. La DeLorean embarque la fameuse Fuzz Factory de Plug in Baby et New Born, traceur inévitable du son de Muse. La 007 est munie d'un potard linéaire permettant de contrôler la Whammy, octaver présent entre autres sur Micro Cuts et Citizen Erased. Cette dernière est jouée avec la 3e copine, une 7 cordes accordée en La que Matt utilise toujours aujourd'hui. Le tout dans deux énormes Marshall JCM 2000 et avec un pedalboard inhabituellement épuré, les contrôles des guitares faisant une grande partie du travail. Quant à Chris, on note l'utilisation massive d'une Russian Big Muff et de l'étrange Akai Deep Impact, qui produit ce son si particulier sur Plug in Baby. Voilà, fin de la digression.


La quatrième et dernière progéniture de Bottrill est la douloureuse Darkshines, qui ne bénéficiera pas de l'exposition des trois précédentes. C'est pourtant une véritable perle, où les lamentations de Bellamy se font de plus en plus déchirantes à mesure que le morceau gagne en puissance. Comme un passage de témoin au deuxième artisan d'OOS : John Leckie, affectueusement surnommé Juan Loco par Rodrigo y Gabriela pour qui il signera plus tard l'exceptionnel 11:11, remet le bleu de travail pour une deuxième partie d'album à couper le souffle. Un autre visage moins FM, mais autrement plus expérimental et caractéristique du Muse de l'époque.


L'aventure sonore entamée avec Bottrill se poursuit. Le chef d'oeuvre Citizen Erased en est le meilleur exemple, où les cris stridents de la Whammy (évoquant Ashes in the Fall de RATM) ouvrent les portes vers un voyage à la limite du rock progressif, s'achevant sur une outro aérienne au piano. La quintessence. On retrouve le bondissant octaver sur la singulière Micro Cuts, qui travestit la guitare en clavier sous les hurlements du falsetto de Bellamy, ou sur Hyper Music, quatrième et dernier single tout en puissance d'un disque qui n'offre aucun répit. Même l'envoûtante Screenager dévoile en live une puissance insoupçonnée, à l'instar de la très populaire Feeling Good, reprise de Nina Simone en hommage à la mère de Matthew Bellamy.


Le voyage s'achève sur Megalomania, dernière expérimentation grandiloquente du trio composée sur l'orgue de la St. Mary's Church de Bathwick. Impossible de ne pas au moins saluer l'audace de l'entreprise, car Origin of Symmetry est bien plus qu'un album de rock : Muse y fait coïncider les influences classiques criantes de Bellamy avec un son en béton armé évidemment inspiré des maîtres du genre, les Smashing Pumpkins. Showbiz avait avec Sunburn son clin d'oeil à Chopin, Origin rend hommage au Concerto n°2 de Rachmaninov dans l'incroyable Space Dementia, véritable mélange des genres que le groupe poursuivra ensuite sans jamais réussir à rééditer la performance. Bellamy est un virtuose qui semble composer sur un piano des arrangements ensuite transposés sur guitare ; on retrouve notamment ce procédé dans Muscle Museum (1999) et Stockholm Syndrome (2003).


Voilà pourquoi Muse est aujourd'hui, et grâce en grande partie à Origin of Symmetry, un groupe qui aura marqué sa génération. Un musicien averti ne peut que reconnaître l'inventivité des compositions hybrides de Bellamy, et les amateurs de guitare électrique savent que sa collaboration avec Manson fait indéniablement de lui un émérite architecte du son, dont la patte va bien au-delà de ses très présentes influences. Voilà aussi pourquoi je suis désabusé par les critiques bien vite expédiées sur Muse : que le produit final plaise ou non, il est tout simplement hypocrite de renier la qualité du travail. Un travail dont le meilleur avatar est Origin of Symmetry.

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le 3 mars 2016

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Jambond

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