« All the other kids with the pumped-up kicks / You better run, better run, outrun my gun / All the other kids with the pumped-up kicks / You better run, better run faster than my bullet » (Tous les autres enfants avec les chaussures gonflées / Vous feriez mieux de courir, de courir plus vite que mon flingue / Tous les autres enfants avec les chaussures gonflées / Vous feriez mieux de courir, de courir plus vite que ma balle) – Pumped Up Kicks (2010)

Mark Foster est un drôle d’oiseau : compositeur dont tout le monde s’accorde à reconnaître le « génie », mais incapable de se fixer sur un genre de musique, tant son côté touche-à-tout le pousse à papillonner sans cesse ; ayant connu de très longues années de galère – y compris de grave addiction – avant d’atteindre un succès colossal en 2010/2011 avec son groupe Foster The People et ses premières chansons, créées une fois établi ce mélange instable entre indie pop et dance music tellement déduisant ; et puis ces années de lente « redescente vers l’oubli », alors qu’il se demande toujours comment trouver (ou retrouver…) la manière idéale de faire danser et chanter la planète sur des textes profonds, voire dépressifs…

C’est comme ça qu’on se trouve presque quinze ans plus tard avec seulement le quatrième album de Foster The People entre les mains. Bon, il y a eu aussi des EPs, comme le dernier, In The Darkest Of Nights, Let The Birds Sing (quel titre parfaitement représentatif des ambitions de Foster !), datant de 2020. Et quand on aborde See You In The Afterlife, le premier titre de ce nouveau disque, on ne peut pas s’empêcher de dire : bien, il a couvert ses arrières, et il revient à la formule « vocale + mélodie + dance » des débuts, histoire d’essayer une seconde fois de toucher le jackpot sans prendre de risques. On peut même, avec juste un soupçon de mauvaise foi, trouver qu’il y a des airs de Pumped Up Kicks dans cette chanson…

Heureusement, cette ouverture un tantinet « facile », qui accrochera les fans des débuts mais pourra irriter les autres, n’est pas significative d’un album qui va aller, titre après titre, explorer des zones musicales différentes, et souvent plus sombres… « Well, I was trapped inside a glass heart / Shattered by the lights that were bouncing off the walls inside / And I’ve been drifting in a daydream / Fantasies that keep me in my bed and awake at night » (Eh bien, j’étais coincé dans un cœur de verre / Brisé par les lumières qui rebondissaient sur les murs à l’intérieur / Et je dérivais dans un rêve éveillé / Des fantasmes qui me gardaient dans mon lit et éveillé la nuit) : Lost In Space, le single, avec son beat disco très basique – un gimmick que l’on trouvera répété par la suite -, ses cordes synthétiques sensées vous porter sur le dancefloor comme dans les années 80, ses vocaux triturés, a tout de la chanson hédoniste et superficielle, mais dépeint surtout un profond mal-être mélancolique, pas si loin finalement de ce que Robert Smith exprimait dans ses premiers albums, soit quand même un paradoxe fécond… De la disco qu’on danse, frénétiquement, en mimant l’extase, alors que c’est un spleen « baudelairien » qui nous alourdit.

Paradise State of Mind va revenir plusieurs fois arpenter ce genre de territoire disco-dépressif, embrumés qui plus est par des effets sonores très « spatio-temporels années 80 », qui peuvent, à première écoute, sonner presque ringards. Mais qui traduisent une approche assez originale, rétrofuturiste si l’on veut, conjuguant efficacement des sentiments nostalgiques : « il y a quinze ans, nous dansions sur Pumped Up Kicks sans nous faire de soucis. Maintenant nous sommes adultes et avons peur de l’avenir. Que s’est-il passé ? ». Même une chanson accueillante comme Take Me Back traite avant tout de la douceur nostalgique d’un retour vers un âge plus heureux : celui – illusoire – de l’innocence perdue ?

Ceci pris en compte, Foster dépasse le regret du passé, et prend à bras le corps le présent, le futur, avec toutes ses dérives, ses « glitches », ses délires, comme dans l’ultra-efficace Feed Me, presque « Princier » dans son assimilation entre sexe et digitalisation, et ses sous-entendus grivois : « I want to hack your code and be your antihero / Turn you on and let my 1 activate your 0 / I want to taste all the data that you won’t release, mm-mm / Ooh, with our X’s and Y’s, we’ll make a masterpiece » (Je veux pirater ton code et être ton antihéros / T’exciter et laisser mon 1 activer ton 0 / Je veux goûter à toutes les données que tu ne veux pas divulguer, mm-mm / Ooh, avec nos X et nos Y, nous ferons un chef-d’œuvre ».

Mais il faut aussi regarder la pochette, et son dessin surréaliste digne d’illustrer un disque de rock progressif de seconde zone. Le titre qui vient immédiatement à l’esprit en regardant la pochette, c’est la « pièce de résistance » au centre de l’album, Glitchzig : cinq minutes et demies parfaitement délirantes, comme une sorte d’approche « prog rock » pour 2024, effleurant plusieurs genres musicaux avec délicatesse et légèreté… alors que le sujet de la chanson est l’utilisation excessive de drogues, et la description des effets agréables (les « high », le trip, la libération ressentie) comme des cauchemars qui s’ensuivent. La longue conclusion de la chanson, expérimentale, jazzy, est un véritable bonheur, et confirme que Foster a bien raison de ne pas tout miser sur son savoir-faire de créateur de mélodies faciles et plaisantes.

Dans ce même état d’esprit qui caractérise la seconde face de l’album, plus soul, plus sensuelle, plus « triste » aussi que la première qui capitalisait sur son talent pop, Foster – avec l’aide son comparse Isom Innis – y décrit sincèrement et crûment son combat contre la drogue et la dépression : The Holy Shangri-La est sans doute la chanson la plus belle du disque, d’une infinie richesse, un moment psyché pas loin d’être magique, où le « rétro-futurisme spatial » déjà évoqué est libéré de certaines de ses « grosses ficelles » et devient pur vecteur d’émotion. Sometimes I Wanna Be Bad parle avec honnêteté de l’attirance malsaine qu’exerce la tristesse, le désespoir, la satisfaction des vices, détournant la joliesse de la musique, avec ses solos de flûte : « Sometimes, I wanna be sad / And let the loneliness come and be my friend / Sometimes, I wanna be bad / The feelings carry me down and I’m lost in my head » (Parfois, j’ai envie d’être triste / Et de laisser la solitude entrer et être mon amie / Parfois, j’ai envie d’être mauvais / Les sentiments me dépriment et je suis perdu dans ma tête). Chasing Low Vibrations introduit – enfin – une note d’espoir : si rompre avec toutes ses « mauvaises habitudes » requiert un énorme effort, il y une « lumière au bout du tunnel », même si elle est lointaine. « In this world I love / We’re reborn in the future » (Dans ce monde que j’aime, nous renaissons dans le futur). A Diamond To Be Born est une conclusion introspective, dream pop et plus vraiment dansante, conçue par Foster et Innis comme un message d’espoir : pour donner naissance au plus beau diamant, il faut d’abord que la matière soit soumise à la plus intense des pression. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour une vie humaine ?

Alors, si en 2011, nous sautions en l’air avec nos baskets « gonflées » – hors de prix -, il semble bien que 2024 nous voit « complètement à plat ». Peut-être que ce sera l’occasion pour Mark Foster, le penseur dépressif aux mélodies magiques, de reconquérir sa place dans nos vies ?

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/08/22/foster-the-people-paradise-state-of-mind-les-baskets-degonflees/

EricDebarnot
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le 27 août 2024

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