Le deuxième concerto pour moi représente l'épitome de l'écriture pianistique de Prokofiev, j'en suis certain, il est inabordable, je ne peux pas rendre justice à une oeuvre que je considère comme un bouleversement dans ma vie, je ne comprend pas que certains arrivent à s'y adonner ici, je trouve ça d'une difficulté... Non vraiment..
Ecoute après écoute, je donne mon attention à la cadence du premier mouvement, j'en attends la fin avec impatience, le coeur lourd, qu'est ce que j'y prends du plaisir, c'est vicieux... Au début je pensais : si c'est ça, pour certains, ce qui se fait de mieux au piano, alors je ne dois pas être habitué à ces sonorités nouvelles, ces harmonies menacantes, ce rythme qui ne fait pas sens, et pourquoi introduire un concerto avec un thème aussi bizarre ? C'est étrange quand même...
Prokofiev, tu es coupable (et capable) de réussir à m'avoir mis dans un état second, palpable même pour le mélomane en herbe que j'étais, ignare, je n'arrivais pas à saisir tes harmonies, je me disais que ça n'avait aucun sens mais, mais que c'était quelque chose de somptueux qui se déroulait... Ta cadence de six minutes est remplie d'imagination et de puissance, tu saisis à toi tout seul la souffrance humaine (si, si, c'est mon concerto préféré, permettez moi d'abuser des superlatifs) et tu joues avec, tu nous tortures... Toute la charge accumulée se relâche un petit peu dans un tourbillon de virtuosité, fff, climax prématuré, et la puissance se déchaine alors soudainement, l'apocalypse, les frissons, les larmes, ce qui est rare... Et quel enregistrement de Krainev, sa main gauche d'une puissance phénoménale, ses arpèges sont clairs, il possède tout le caractère nécessaire pour intérpréter ce concerto...
C'est une beauté sans pareil, ce concerto, il atteint des sommets faramineux de douleur dans le premier et quatrième mouvement, il sait impressionner par sa virtuosité et ses dissonances magnifiques, ses thèmes (petite déclaration d'amour au thème du quatrième mouvement réutilisé pour la transition de fin de la cadence), et ses utilisations ! Réutiliser le petit motif du début, joué en pizzicato (c'est le titre de ma critique, j'avais pas d'idées) pour introduire le concerto, discret, on l'oublie presque à la première écoute, pour s'en servir ensuite au climax du premier mouvement ? C'est du génie !
Il m'a fallu plus de temps pour le troisième concerto, que je découvrais un peu plus tard, que j'ai trouvé oubliable, sans intérêt, naïf, je ne retrouvais pas l'écriture si violente et sincère du deuxième concerto. En fait, c'est simplement parce que je l'ai réecouté pour la première fois en des mois il y'a quelques semaines que j'en suis tombé amoureux, de son extravagance, de sa moquerie, de son grotesque, c'est bien du Prokofiev en fait ! Bah oui idiot...
Je n'ai pas arrêté (et ça continue) de chanter, d'avoir en tête, de pianoter (sans vraiment en être capable) le coda, le climax, que je trouve magnifiquement bien amené dans sa manière de gérer la tension jusqu'à une sorte de relâchement très court, dans les dernières mesures du concerto... Une grande montée, une ascension puissante, bien entendu, caractère très différent du deuxième concerto, mais pour ce qui est de la véhémence, les deux sont capables de vous laisser bouche bée.