Lâcheté et mensonges
Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...
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le 29 nov. 2019
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Connaissez-vous GaBLé ? « It’s a thing that you’ve read about / and don’t believe it when it lands / it has the wings of a butterfly / and the motor of a fan » (C’est une chose que vous avez lu / et à la quelle vous ne croyez pas quand elle atterrit / elle a les ailes d’un papillon / et le moteur d’un ventilateur) : l’introduction de FRuiTioN, dans un esprit très Mael Bros (Sparks) nous propose une description ironique que l’on a envie d’appliquer au groupe lui-même. Car, même si on vous parle de GaBLé ici, vous aurez du mal à imaginer de quoi il s’agit. Comme souvent, comment toujours, la meilleure manière d’être convaincu de la force et de l’intelligence de la démarche de ce groupe français pas comme les autres, c’est bien de les voir sur scène. Car c’est un spectacle délicieux, en même temps qu’une franche claque, inattendue, mais en mode aller-retour.
Quand on avait vu GaBLé pour la première fois, et ça remonte à 2008 (!), on avait écrit, éberlué : « Jouer de la guitare sèche en utilisant une perceuse comme « archet », sangloter en serrant contre soi une guitare électrique en plastique rouge, lire les textes d’une chanson au fond d’un cageot, faire du « hip hop » composé uniquement d’onomatopées inintelligibles ou presque (« police », « fuck », bruits de flingue), être « désolé » de jouer une « chanson d’amour » construite en fait sur des bruits « physiques » à peine audibles, on en passe (beaucoup) et des meilleures… Non, le meilleur, c’est bien que tout ça dépasse nettement le niveau de la parodie pour être de la vraie musique, entre ritournelles électro atmosphériques et frénésie folk lo-fi : un vrai plaisir ! ». La dernière fois, c’était il y a quatre ans, ils nous avaient conviés à un Ciné-Concert (“GaBLé joue CoMiCoLoR”) : réussissant à conjuguer bruitages amusants parfaitement synchronisés avec les événements à l’écran et interprétation de véritables morceaux musicaux, souvent très puissants, GaBLé nous offraient une expérience totale : de la très belle musique, avec un goût certain pour les déchirures électriques et les percussions sauvages, et des sons décalés, accompagnant d’excellents dessins animés…
PiCK THe WeaK est le premier album de Gaëlle, Mathieu et Thomas, le trio caennais, depuis huit ans, et a été construit patiemment, longuement, sur deux ans, après la fin de la tournée “GaBLé joue CoMiCoLoR”. Patiemment, longuement car il s’agit bien de continuer à surprendre, réjouir, stimuler leur auditoire en proposant une musique inédite, ludique, ambitieuse, sans sombrer dans une démarche intellectuelle absconse, surplombante… mais sans se répéter, après plus de vingt ans d’existence. Une démarche qui, d’un coup, ne nous semble pas si différente de celle d’un Quentin Dupieux au cinéma : il s’agit, sans rompre avec les codes d’un genre populaire, de réaliser des propositions artistiques différentes, décalées, à la fois drôles et déstabilisantes.
On reste donc ici dans un bric-à-brac de sons, musicaux ou non, qui s’apparentent peu à peu à une jungle musicale accueillante, colorée : tous les morceaux (à l’exception du « gag sonore » de Ca_Va_MiCHeL) sont de véritables chansons, la plupart complètement pop, faciles à mémoriser et à chanter en dépit (mais aussi un peu à cause) de leur aspect décalé. L’album a même une connotation électro pop, voire synth pop, qui le rend particulièrement aimable et facile : l’irrésistible We LooK aWay n’aurait pas déparé sur l’un des albums des Nits première époque, et c’est un sacré compliment que l’on fait à GaBLé, fans que nous sommes des facétieux Bataves !
Ainsi, choisis (presque) au hasard au milieu des dix titres de l’album, il y a SHaReD qui fait un crochet dépaysant et bien venu par l’Amérique du Sud, le formidable IT MaKeS SeNSeS, que l’on peut juger comme la pièce maîtresse de l’album, qui alterne les passages dansant et les dérapages vocaux improbables, SpeCiaL CoNTaiNeRs qui louche finalement vers la pop baroque anglaise à la Divine Comedy.
Et puis, et puis il y a cette conclusion, PoNyTaiL, déguisée en chanson joyeuse, qui met le doigt juste où ça fait mal, pointant notre propre inhumanité à tous : « It’s not as if we’d never wished them harm / It’s not as if we’d never dreamt them dead / But then we never said we’d give them all a hand / We said we’d only save a pair and picked the weak » (Ce n’est pas comme si nous ne leur avions jamais souhaité du mal / Ce n’est pas comme si nous n’avions jamais rêvé d’eux morts / Mais nous n’avons jamais dit que nous leur donnerions un coup de main / Nous avons dit que nous n’en garderions que quelques-uns et avons choisi les faibles ».
Comme quoi, derrière la fantaisie et les mélodies gaies de GaBLé, pointe une sourde angoisse, qui fait la beauté de cet album, qui devrait logiquement permettre au groupe de se faire plus largement connaître…
[Critique écrite en 2024]
https://www.benzinemag.net/2024/02/08/gable-pick-the-weak-la-version-rock-de-quentin-dupieux/
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Créée
le 9 févr. 2024
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