Lorsque The Vaccines explosèrent littéralement en Angleterre, il y a presque 15 ans de cela, notre réflexe fut une relative prudence : voilà un groupe londonien qui ressemblait diablement à un clone des Strokes, qui semblait s’ingénier à reprendre les codes du rock new-yorkais, bref qui ressemblait plus au résultat d’un calcul avisé d’une agence de Marketing qu’à un « vrai groupe » de rock à la « street cred » impeccable. Le souci était que les chansons étaient quand même diablement bonnes, que le groupe, dès son fameux premier album, What Did You Expect From The Vaccines? balayait toute une variété de styles, de la pop new wave anglaise traditionnelle au rock noisy… Et qu’il était donc difficile, honnêtement, de les bouder trop longtemps pour cause de « hype »… et ce d’autant que leurs prestations scéniques débordaient d’énergie. Les années ont passé, les albums se sont succédés, avec des hauts (le brillant Come of Age, le très convaincant Back In Love City) mais aussi des tentatives pas toujours pertinentes de renouvellement (le power pop un peu gras de English Graffiti). Il y a eu des départs parmi les musiciens derrière Justin Hayward-Young et son impeccable « rock’n’roll attitude », mais le groupe a conservé un public dévoué Outre-Manche… sans avoir marqué plus que ça la France.

Pick-Up Full of Pink Carnations est déjà le sixième album studio du groupe, le premier depuis le départ du lead guitariste Freddy Cowan (non remplacé, Justin assurant ici toutes les guitares), et, dès la première écoute, il frappe comme l’un de leurs plus homogènes : alors qu’on admirait – tout en la critiquant parfois – la versatilité stylistique du groupe, on a cette fois la sensation d’écouter un album totalement cohérent, peut-être parce que le leadership de Justin est désormais sans partage… Avec, et c’est logique, moins de guitares dans le mix, mais aussi un certain retour aux origines du groupe (ah, ce syndrome Strokes qui frappe à nouveau !), Pick-Up Full of Pink Carnations s’avère peu surprenant, comme si Justin avait décidé d’arrêter d’aller explorer de nouveaux chemins pour revenir aux sources de sa musique.

Ce « retour en arrière », ou tout au moins ce « regard sans le rétroviseur » illustré par la pochette, est cohérent avec la démarche revendiquée par Justin, qui raconte avoir été inspiré par le célébrissime American Pie de Don McLean et sa célébration pleine de sentiments et d’émotions d’un passé (musical, entre autres) disparu, combinée avec la force d’une résilience fondée sur les expériences vécues et les gens avec qui le passé a été partagé : « I was a lonely teenage broncin’ buck / With a pink carnation and a pickup truck » (J’étais un adolescent solitaire qui bronzait / Avec un œillet rose et une camionnette) est en effet une phrase de la chanson American Pie… dont il faut bien admettre qu’on peine à identifier des traces musicales dans cet album !

Pourtant, oui, même si les paroles de ses chansons n’ont jamais été le point fort de Justin, l’album exprime ici, pas toujours de manière très originale, des sentiments bien universels, auxquels on ne pourra que souscrire… Il y a la souffrance de ne pas trouver sa place : « Sometimes, I swear / It feels like I don’t belong anywhere » (Parfois, je le jure / J’ai l’impression de n’avoir ma place nulle part) sur Sometimes I Swear ; la douleur qui subsiste longtemps après une rupture, un abandon : « Oh, you never thought they’d leave you, but they did / Now everybody calls you the heartbreak kid » (Oh, tu n’aurais jamais pensé qu’on te quitterait, mais c’est arrivé / Maintenant tout le monde t’appelle le gamin au cœur brisé) (Heartbreak kid) ; la peur et l’excitation que l’on ressent devant la perspective d’un changement : « Look what you started / Is this what you wanted? » (Regarde ce que tu as commencé / Est-ce que c’est ce que tu voulais ? (Lunear Eclipse).

Un album aussi marqué dans l’esprit de son créateur par l’indécision (quelle direction prendre alors que la seule chose qui nous définit clairement est la marque que le passé a laissé en nous ? Quelque chose comme ça) sera logiquement moins plein de chansons gaies, volontaires, déterminées comme celles qui ont illuminées par le passé les disques de The Vaccines. Mais parmi les 10 titres proposés ici, on trouve quelques mélodies efficaces, posées sur des rythmes entraînants, comme Love To Walk Away – sans doute la chanson la plus accrocheuse de toutes -, Heartbreak Kid ou Lunear Eclipse, toutes trois sorties en singles. Pour le reste, on parle de titres moins évidents qui gagneront leur place dans notre cœur, soyons en sûr, au fil des écoutes. Et qui constitueront d’excellents ajouts à la setlist du groupe pour leur nouvelle tournée.

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/01/12/the-vaccines-pick-up-full-of-pink-carnations-english-pie/

EricDebarnot
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le 15 janv. 2024

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Eric BBYoda

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