Thomas Fersen revient en 2003 avec sa plume magnifique, sa voix rauque et son allure nonchalante pour nous servir un festin de mots, de sons et de sourires en coin. Un peu plus caustique, un peu plus grinçant, un peu plus désenchanté qu’à l’habitude, Fersen s’affirme ici définitivement comme un grand auteur-compositeur, muni d’une patte unique indéniable et incontournable ; comme on dit « c’est du Brassens », « c’est du Trénet », on pourra assurément dire « c’est du Fersen ». Avec tout ce que cela comporte d’a priori statique dans le style et dans les effets : on n’entre pas surpris dans une nouvelle œuvre ; la première impression est même un peu décevante (« ça ressemble au précédent… ») tant le système ambiant nous a conditionnés au besoin de sensationnel.
Faisons fi des étincelles et des paillettes et attachons nous au fondamental : la poésie avec tout ce qu’elle comporte de petits détails suggérés qui viennent insidieusement vous toucher, vous amuser, vous agacer, vous transporter… La poésie au travers de petites histoires qui n’ont l’air de rien et qui se révèlent toutes des petits trésors de tendresse, de dérision, de drôlerie, de trivialité, d’absurde…De vie. Car c’est bien la vie dans tous ses états, avec ses bonheurs et ses contraintes, qu’illustre avec tant d’acuité Fersen : la prison, la solitude, le corps, la tombe, la peur, la cruauté, l’amour, les bruits, les frictions, les odeurs, les goûts, le regard des autres…Avec la nourriture en fil conducteur (du croque-monsieur à la pièce montée), mais aussi le lit, thème curieusement récurrent chez Thomas Fersen, très présent ici encore.
C’est dans un véritable univers qu’on pénètre, qu’on jouit de découvrir mot après mot, note après note, comme on déguste une série de bons petits plats mitonnés avec soin, amour et fantaisie par notre artiste, affiché en pochette sur le fond vichy rose des papiers d’emballage charcutiers, avec une tête de porc sur les genoux…Car l’iconoclastie n’est pas la moindre de ses qualités, avec ses air de pas y toucher… D’ailleurs, vous apprendrez avec amusement que sa vocation de chanteur lui est apparue à l’écoute ébahie de chansons paillardes auxquelles un copain d’école l’avait initié…Et c’est vrai qu’il y a un peu de ça dans certaines mélodies, mais aussi dans quelques tournures un tantinet gentiment égrillardes.
Si personnellement j’ai le culot, sûrement injuste, de trouver cet opus légèrement moins profond et moins musicalement riche que les deux précédents (chefs-d’œuvres presqu’absolus), j’ai compris à mes dépends ce qu’inconditionnel veut dire.
Ecouter Thomas Fersen est aujourd’hui plus que jamais indispensable à la santé mentale, affective et culturelle de toutes les générations, forcément concernées par une œuvre universelle encore trop confidentielle.