C'est sûr, c'est pas du Puccini.
Il fallait à un moment ou un autre que j'en vienne à parler de cet album.
Un certain Pinkerton ici en livre une critique à la fois passionnée et extrêmement documentée que je vous invite à aller lire : http://www.senscritique.com/album/Pinkerton/critique/10647609
Pour ma part, j'ai l'impression que "critiquer" cet album est à la fois une évidence et une gageure pour moi.
Je laisse quelques secondes à ceux qui voudraient aller se chercher quelque chose à boire ou se préparer un sandwich avant de commencer à vous raconter.
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Bon.
"Pinkerton" date de 1996, et je l'ai découvert à sa sortie, soit à 17 ans. Je vous prierai de ne pas faire de calcul, ce serait mal élevé. Néanmoins je vois mal quel meilleur moment j'aurais pu trouver pour tomber dessus.
Il y a des albums qui m'ont suivi une bonne partie de ma vie et dont je n'ai jamais réussi à me lasser. "Transformer" de Lou Reed, "A Night at the Opera" de Queen, "Aladdin Sane" de Bowie ou encore "Rum, Sodomy and the Lash" des Pogues en font partie. Facile, ce sont des classiques (les Pogues un peu moins), toujours bien vus dans les tops 10 et même des passages presque obligatoires (ou en tous cas qu'il fait bon mentionner quand on parle de musique). Pourtant, en dehors de ça, ils font réellement partie de mon histoire. Et ce "Pinkerton", bien, bien, plus modeste aussi.
Il faut dire que ma rencontre avec Weezer s'était faite avec le clip de "Buddy Holly" l'année précédente grâce à... Windows 95 bien-sûr ! J'avais adoré la chanson mais voyez-vous, à l'époque, pas question de télécharger quoi que ce soit pour l'écouter et l'album n'était disponible qu'en import : vivant près de Châtellerault à cette période, autant dire que je n'avais aucune chance de me procurer ce fameux album bleu de Weezer. Par chance, j'avais un ami dans le même cas, qui avait découvert l'existence d'un deuxième album, au nom curieux de "Pinkerton" et il me l'a prèté ! J'ai accroché direct, empli de jalousie de ne pas le possèder moi même, et je chantais le refrain de "Pink Triangle" à tue tête, ceux qui connaissent approuveront d'un air complice.
Que dire sur l'album en lui même ?
Les Beach Boys ont inventé le concept de symphonie pop adolescente, Weezer a parfaitement réussi la sienne. On y suit un Rivers Cuomo au fond du trou, en pleine dépression, se débattant entre sa colère, son enthousiasme et sa peine au long de 10 chansons qui abordent ces thèmes qui feront vibrer l'adolescent maussade qui sommeille en chacun de nous. Pas très surprenant qu'il rejettera cet album pendant des années, peu désireux de se replonger dans cette période. Ca commence nerveusement, "Tired of Sex" aborde les choses sans détour, "Getchoo" est bourré d'énergie, comme une rage de nerd tandis que "No Other One" laisse paraître une inquiétude infinie sous un riff particulièrement puissant.
C'est un peu de la power-pop de geeks, avant que le mot ait la connotation extrêmement positive qu'elle a aujourd'hui. Etre un geek en 1996 ce n'était pas cool. Ca signifiait avoir juste 2 ou 3 potes pour jouer aux jeux de rôles ou à la console, n'avoir qu'une connaissance théorique du sexe opposé et disposer d'un pouvoir d'invisibilité sociale qui ne s'effaçait que pour le moment où venaient les railleries (ou pire) de vos camarades. On pouvait être résigné, comme le laisse entendre le faussement joyeux "Why Bother ?" ou rêver d'autre chose autre part, loin, là où on n'irait pas.
"Across the Sea" c'est un peu ça. L'histoire de ce chanteur qui s'émeut de la lettre reçue d'une fan japonaise avant de basculer peu à peu dans un délire total de frustration plutôt malsain par moments. On commence à comprendre le lien avec le Pinkerton de "Madame Butterfly" lui aussi sensible au charme des Japonaises. Au coeur de l'album, c'est selon moi la chanson la plus représentative du style de Weezer sur cet album. Celle qui brasse le mieux les différents éléments (ce solo !) et les différentes émotions qui le parcourent.
On retombe malgré tout très vite dans la dépression avec "The Good Life" et ses paroles auto-dépréciatives d'une rare colère. C'est pourtant encore une fois un morceau très efficace, terriblement pop avec des guitares déglinguées au possible.
"El Scorcho" revient sur le thème de "Madame Butterfly" (sous son nom de "Cio-cio San") il met en scène la futilité des choses qui vous paraissent pourtant au centre de tout lorsque vous êtes ado. Aller à des concerts (de Green Day), draguer sans trop de succès et s'écorcher plus ou moins à essayer de se faire meilleur qu'on ne le sera jamais.
A l'époque, "Pink Triangle" était de loin ma préférée sur l'album, elle doit sans doute l'être encore. Ce jouissif ralentissement de la chanson avant un retour à une cadence nettement plus soutenue, ce refrain à crier en choeur (oui je l'ai déjà dit), et surtout ses paroles sur un pitoyable quiproquo comme on en a tous plus ou moins connu et qui nous laissent parfois rêveur quant à ce qui aurait pu se passer si... C'est admirablement trouvé, mis en scène et executé par le groupe.
"Falling for You" est la déclaration d'amour qu'on n'aura pas faite, bien plus complexe musicalement qu'il n'y paraît et d'une sincérité à toute épreuve.
L'album s'achève sur "Butterfly", ballade toute nue et pessimiste au chant pas très juste (il y a un "away" qui part en sucette sur la fin) mais c'est ce qui fait son charme, car après tout, c'est comme ça qu'on est quand on a 17 ans, non ?
Avec ce "Pinkerton" Weezer a accompli un vrai petit miracle. Sur une pop énergique, portée par les pulsions adolescentes, ils créent un véritable petit opéra, une ode à un certain mal être. Le tout est pourtant extrêmement entraînant, motivant même et force l'admiration face à un groupe dont on n'attendait pas grand chose à priori. Et c'est ça au fond Weezer à l'époque. Certains sont les porte-parole des jeunes rebelles à cheveux longs, des opprimés ou des gros durs énervés. Weezer eux parlent pour une autre forme de parias, ceux qu'on a tous connus, sans vrai look, du genre qu'on ne remarque pas, avec des lunettes, ou pas, qu'on n'avait jamais encore osé mettre sur le devant de la scène.
Finalement, à bien y regarder, on peut se demander si, quelque part, ce ne seraient pas eux les vrais punks.
PS : C'est drôle quand même, pourquoi faut-il que j'ai toujours un coup de foudre pour les albums en forme de comédie musicale avortée parlant de l'adolescence et de ses troubles ?