Planet Waves
6.7
Planet Waves

Album de Bob Dylan (1974)

Automne 1973, Dylan n’est plus le dandy intouchable du rock. Ses derniers albums ont décontenancé le public et les critiques. Si New Morning lui a permis de redresser la barre, les chansons n’étaient pas assez solides pour redonner au Zim son aura passé, et cela lui allait sans doute tout aussi bien. Depuis 1967 Dylan consacre la plupart de son temps à sa vie de famille et à la découverte de nouvelles formes artistiques comme le cinéma ou la peinture. La musique reste bien sûr toujours présente, mais elle n’est plus le centre de tout, cela fait d’ailleurs presque huit ans que Dylan n’a plus fait de tournée !


Mais depuis quelques mois l’ambiance devient de plus en plus lourde au sein du couple Dylan / Sara, cette dernière commençant à être fatiguée par les nombreuses infidélités de son mari. Le déménagement du couple à Malibu ne changera rien à l’affaire, mais permettra à Dylan de se rapprocher de Robbie Robertson, guitariste du band, qui l’accompagnait durant la fameuse tournée de 1966. Au fil des discussions, les deux parties retrouvent l’envie de reprendre les choses là où ils les avaient laissées huit ans auparavant. Robertson contacte alors les autres membres du groupe qui sont enthousiasmés par le projet.


Dylan sait que son retour sur scène sera un événement majeur et il souhaite le faire dans les meilleures conditions possible. Il quitte Columbia, à qui il reproche de ne pas avoir assez défendu ses derniers disques, pour signer chez Asylum, le nouveau label de David Geffen. Dylan obtient une avance importante en contrepartie d’un nouvel album. Le Zim propose alors au Band de l’accompagner, pour la première fois de sa carrière, en studio (il y eut une autre tentative de collaboration en 1965, mais elle fut rapidement avortée).


En octobre 1973 il part s’isoler quelques jours à New York pour composer de nouvelles chansons. Au moment de son départ, il n’a que trois titres dans ses valises. Mais Dylan est particulièrement motivé et il se plonge dans le travail jour et nuit pour oublier ses ennuis conjugaux. Lorsqu’il retourne à Malibu il a six nouvelles chansons dans sa besace.


Le studio est réservé début novembre 1973 et le disque est mis en boite en seulement trois jours. Le seul point de désaccord entre Dylan et son staff concerne la chanson Forever Young qui est enregistrée en une seule prise dans une version lente. Dylan ne semble pas satisfait du résultat, mais ses musiciens insistent pour garder la version. Le débat sera long et houleux. Le Zim finira par céder avant de revenir à la charge lors du troisième jour d’enregistrement. Il insistera pour réenregistrer la chanson dans une version acoustique qui ne sera finalement pas retenue pour l’album. Rob Fraboni, producteur des séances mettra fin au débat en signifiant à Dylan qu’il existe déjà une très bonne version de ce morceau et qu’il restait peu de temps pour enregistrer les autres chansons. Le Zim rentre alors dans une rage folle :


« Ça fait cinq putain d’années que je compose cette chanson dans ma tête, et toi tu veux m’empêcher de l’enregistrer comme j’en ai envie ?!! »


Frazoni ne cède pas, car le temps presse. Il demande à Dylan d’enregistrer le prochain titre. Après s’être calmé, le Zim empoigne sa guitare et enregistre en direct et en une seule prise la chanson Wedding Song qu’il a finie de composer quelques heures auparavant, puis il rentre chez lui. Le lendemain le staff d’Asylum contacte Dylan pour lui dire qu’il n’y a pas suffisamment de matériel pour faire un album. Une 4e et dernière séance d’enregistrement est donc planifiée le 14 novembre.


Complètement monomaniaque Dylan décide de revenir une nouvelle fois sur la chanson Forever Young et d’enregistrer une version rapide de ce titre. Frazoni est dépité. Le Zim fait honneur à sa réputation de tête de cochon. Fier de lui, Dylan s’installe ensuite au piano et démarre une nouvelle chanson qu’il vient juste de composer. Intuitivement Robbie Robertson rejoint le Zim pour l’accompagner sur ce titre qu’il n’a jamais entendu auparavant. Dirge est enregistré en une seule prise et est sans doute un des plus beaux moments de grâce de la carrière de Bob Dylan. Elvis Costello dira quelques années plus tard que cette chanson justifie à elle seule l’achat de l’album.


Lors de l’élaboration de la tracklist finale, Dylan insistera pour faire figurer les deux versions de la chanson Forever Young. Une manière pour lui d’avoir le dernier mot avec Frazoni. Il dessinera également lui même la pochette de l’album. On choisit d’abord Ceremonies Of The Horsemen comme titre d’album, mais là encore, sans que l’on sache pourquoi, Dylan change brusquement d’avis et rebaptise le disque Planet Waves. Cette nouvelle lubie retardera la sortie de l’album et coûtera plusieurs milliers de dollars à la maison de disque.


Qu’importe, Planet Waves est publié le 17 janvier 1974 et reçoit un accueil favorable de la presse. Si la chanson d’ouverture traite des retrouvailles (entre Dylan et son public ?) la plupart des titres de Planet Waves marquent un retour à des thèmes plus sombres dans la grande œuvre dylanienne. De nombreux morceaux font référence à des ruptures amoureuses (Dirge) ou même au suicide (Gone Gone Gone). Planet Waves ressemble à un crépuscule, une fin de route pour un couple au bord de l’abîme, car dans ce disque, comme dans les autres, le Zim parle avant tout de lui et de son histoire d’amour qui bât de l’aile. Pourtant à ce moment de l’histoire Dylan ne veut pas encore croire à l’inévitable (Never Say Goodbye), et il continue de déclamer un amour sincère à Sara sur plusieurs titres (Wedding Song, Tough Mama).


Peine perdue. À la sortie de l’album, le Zim s’embarque dans une énorme tournée avec le Band. Comme prévu les billets se vendent comme des petits pains et Dylan ne tarde pas à retomber dans les excès de ses anciennes tournées. Sara demande le divorce et Dylan plonge dans la plus grande dépression de sa vie. Mais ça, c’est encore une autre histoire.

Hervé_Bertsch
8
Écrit par

Créée

le 8 août 2023

Critique lue 36 fois

Hervé Bertsch

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