Balade poétique en Arménie
Nicolas Jaar, jeune compositeur touche-à-tout d'origine chilienne, est clairement le génie musical de notre temps. Fortement influencé par son éducation et par l'héritage artistique et politique de sa famille (né d'un père artiste d'origine palestino-chilienne et d'une mère franco-chilienne), il grandit à New-York et fera ses premières prouesses jeune, très jeune. En effet, il commence à asséner ses premiers dj sets à l'âge de 17 ans dans les clubs et sort son premier album Space Is Only Noise en 2011 alors qu'il n'a que 20 ans à peine. Précoce, donc.
Influencé par tant de bonnes choses, on peut retrouver dans ses inspirations beaucoup de hip-hop, mais aussi beaucoup de rock à la The Doors ou à la Depeche Mode par exemple (pour sa propre voix qu'il a posé sur beaucoup de ses compositions). On peut même légèrement entrevoir les Pink Floyd sur son projet avec Dave Harrington Darkside (logique). Bien sûr, quand on lui demande de citer lui-même ses références, Nicolas parle de Erik Satie ou même de Leonard Cohen, logique, encore une fois.
Mais ce qu'il faut bien retenir, c'est que Nicolas Jaar, c'est deux mondes. Un monde "club", très orienté techno et house, et un monde beaucoup plus axé ambient et musique expérimental. La chose géniale, c'est que ces deux mondes s'entrechoquent et se mélangent souvent, et notamment de plus en plus au fur et à mesure de sa carrière. C'est à dire que plus le temps passe, plus ses albums sont le fruit de ce savant mélange.
En revanche, l'album Pomegranates duquel il est question ici, se trouve quant à lui beaucoup plus encré dans la side ambient et musique expé. Normal, puisque c'est une bande son alternative, et pas n'importe laquelle, mais celle du film The Color of Pomegranates réalisé par Sergei Parajanov en 1969.
Plus long, plus lent, Pomegranates prend le temps. Voyage poétique et philosophique à travers de noires contrées, c'est une succession chaotique de fluctuations sonores, tantôt très électroniques, tantôt très organiques. Un mélange brillamment orchestré de bruits en tout genre (eau qui ruisselle, voix, paroles, discours poétiques), de piano d'une douceur incomparable et de synthés dissonants qui vibrent et qui tourmentent l'âme de celui qui a entreprit le voyage qu'est cet album. Volontairement sans structure, l'album est d'un abstrait que seul monsieur Jaar peut manier de cette façon. C'est aussi une oeuvre qui touchera plus le coeur que l'esprit des moins pressés.
En définitive, Pomegranates est un album complexe sans l'être vraiment tout à fait. Il se ressent plus qu'il ne doit se comprendre, surtout si on lui accole le film pour lequel il a été composé. Il marque surtout un tournant dans la carrière de Jaar, puisque tous les albums qui le suivront dégageront de manière très construite et mature la même chose : le sentiment de ne pas savoir si on écoute vraiment une bande son, un album ou tout simplement un poème musical. Certainement les trois en même temps.