Lâcheté et mensonges
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Beaucoup d'entre nous ont coutume d'affirmer que le Rock'n'Roll leur a - au moins un jour - "sauvé la vie" - pour paraphraser l'ami Lou Reed qui capturait dans sa chanson "Rock'n'roll" la véritable sidération qui a pu nous saisir lorsque nous avons entendu pour la première fois - en général lors de notre plus jeune âge - cette musique "du diable". Mais il y a certainement pas mal de gens qui peuvent - sans d'ailleurs s'en plaindre aussi franchement - raconter que le Rock a foutu leur vie en l'air : obsession terminale les réduisant à la ruine, incapacité à la vie de couple pour cause d'envahissement de la collection de disques vinyles, abus d'alcools et de substances diverses ou, pire encore, célébrité éphémère et dévastatrice, il y a bien des manières de regretter que votre existence ait un jour croisé la route du Rock… et qui font que tout ça s'apparente largement à un pacte avec le diable !
Mike Krol, que la pochette de son nouvel album, "Power Chords", dévoile plus ou moins tabassé par la vie, s'agrippant encore à sa guitare, s'avère un exemple assez ahurissant : ce jeune américain, qu'on imagine facilement sage et propre sur lui, s'est donc engagé en 2011 dans une croisade solitaire de célébration du punk rock le plus puriste. Avec pour toutes munitions un talent indéniable pour les mélodies accrocheuses - louchant même parfois sur le power pop -, une voix diablement limitée et radicalement distordue, et une volonté impressionnante à jouer lui-même de tous les instruments sur ses albums résolument lo-fi. Une telle détermination à vivre une vie de micro-rock star en évitant tout compromis force l'admiration, même si l'on peut facilement nous répondre qu'il y a des milliers de Mike Krol de par le monde : des musiciens trop facilement qualifiés de "limités" qui croient dur comme fer au pouvoir de la passion et de l'intégrité. Certes, certes, mais il y a quelque chose chez Mike qui dépasse la pure force de conviction : des riffs rageurs, des mélodies qui tiennent la route, on l'a déjà dit, des textes personnels plutôt intrigants, et bien sûr une sorte d'audace belliqueuse heureusement non dénuée de conscience.
"Power Chords" est donc son troisième album, le mieux produit - dans les limites du genre, bien entendu - et peut-être celui où la voix de Mike Krol se fait la plus singulière : à force de prendre des coups et de vivre des déceptions, il en arriverait à regretter ce sacerdoce punk qui a répondu dans une certaine mesure à ses ambitions, mais ne lui a apporté que peu de plaisir. C'est donc l'album qui pourrait - dans un monde juste un peu meilleur - lui apporter un minimum de reconnaissance publique, mais qui risque d'être un nouveau coup d'épée dans l'eau... "An Ambulance" est un single qui a bien de la gueule, et qui décline impeccablement le programme : à condition de ne pas avoir peur de monter le son au delà des limites réglementaires, voici donc de l'énergie débordante, de l'introspection et du désespoir, et même un soupçon de cette classe légère des perdants magnifiques. Tout l'album - pourtant court - ne plafonne pas à ce niveau, et on regrettera quelques chansons plus faiblardes dans sa deuxième partie, avant un final impeccable. Rien néanmoins qui arrive à nous gâcher cette impression réjouissante de fraîcheur et d'intelligence, qui caractérise parfois la musique de gens qui, comme Mike, la jouent avec assez de déraison et de conviction.
Gageons que le calvaire rock'n'roll de Mike Krol - qu'il soit réel ou simple générateur de fiction - arrivera quand même, sinon à sauver quelques vies, au moins à les enchanter. Nous serons le 16 avril au Gibus Club pour lui témoigner notre reconnaissance.
[Critique écrite en 2019]
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Créée
le 26 janv. 2019
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