A travers l’espace sombre et ténébreux file le vaisseau Prometheus, lancé à la poursuite de nos origines, mis sur la voie par de mystérieux créateurs nous ayant rendu visite il y a des milliers d’années, nous ayant ainsi permis de nous développer et de créer la société humaine, nous invitant à présent à partir à leur rencontre aux confins de l’univers. A partir de ce constat passionnant (et inspiré par de réelles théories impliquant nos origines), Ridley Scott retourne dans l’univers Alien dont il est le créateur. Hélas, malgré un esthétisme renversant et un univers mystérieux et passionnant, le film se trouve être une coquille vide, victime d’un scénario extrêmement bancale empêchant les bonnes idées de pleinement se développer. Même si le concept s’avère être un gâchis à l’écran, il n’en est rien à l’écoute. Marc Streitenfeld, compositeur de la bande originale du film, s’est réellement laissé embarquer aux confins de l’univers, prenant à bras le corps son concept, nous entraînant avec lui à la recherche de nos origines, et bien plus encore.
La saga Alien, en plus d’avoir marqué l’histoire du cinéma, possède un univers musical tout aussi riche. Jerry Goldsmith, James Horner, Elliot Goldenthal, John Fritzell : de très grands noms de la musique de film se sont déjà frottés au xénomorphe, chacun réinventant à sa manière l’univers musicale et sonore de la créature. Difficile donc de succéder à de tels oeuvres. Marc Streitenfeld, jeune compositeur britannique, introduit à Ridley Scott par Hans Zimmer en personne (dont il a été l’assistant, le conseiller technique et le monteur musical durant de nombreuses années), se retrouve avec cette grande pression sur les épaules. Après Une Grande Année, American Gangster, Mensonges d’Etat et Robin des Bois, Prometheus est sa cinquième collaboration avec Ridley Scott. Sans réinventer le paysage musical de la saga Alien, Streitenfeld préfère ici s’inspirer des différents styles apportés par ses pères, tout en y influant son propre style si particuliers.
Car même si Streitenfeld est encore un « jeune compositeur », il possède un style propre, des instruments de prédilections ainsi que des atmosphères et timbres personnels. Ainsi l’on pourra noter l’utilisation particulière d’instruments à vent tels que flûtes à bec et flûtes traversières, voir flûtes de pan. Plus que les instruments, ce sont les atmosphères que travaillent Streitenfeld. Oscillants entre mélodies lyriques et lignes envoutante et mystérieuse, les compositions du compositeur semble toujours être en mouvement, en constante évolution. Ce qui correspond parfaitement au sujet du film, atmosphères et instruments spéciaux servant à créer un univers à la fois anxiogène et magnifique.
Ce parallèle est au coeur de la partition de Streitenfeld; La colonne vertébrale de la structure musicale du film est un motif rapide, insidieux, tout en croche, joué tour a tour par des cordes sombres, à la flûte traversière et par des sons synthétiques, accentuant le côté extraterrestre de l’ensemble. Présent tout au long de la partition et pouvant être entendu dès les premières secondes du morceau « Going In », il représente l’aspect horrifique du film. Il possède un côté très imagé, car rien qu’en l’entendant, on imagine très clairement un serpent, un vers ou tout autre créature filiforme se glisser dans nos oreilles lors de l’écoute. Ce motif représente à la fois l’étrange ainsi que la peur de l’inconnue que cette exploration sur une planète éloignée peut provoquer chez les personnages et les spectateurs. Ce motif sera décliné de différentes manières tout au long de la partition : accompagné d’une rythmique synthétique pour accompagner la préparation ainsi que l’entrée des personnages dans la pyramide, il est l’élément central du thème du personnage de l’androïde David, joué par Michael Fassbender. Le motif est alors tordu de manière synthétique, ponctué par un cliquetis étrange renvoyant à l’origine mécanique du personnage de David, robot curieux questionnant l’intérêt de la création ainsi que son importance dans ce processus. Le motif est malaxé, trituré, déformé comme ci David effectué des expérience dessus. Représentation remarquable des intentions d’un personnage en musique : l’intention de créer la vie. Ainsi ce motif représente toute la thématique du film : la question de la création de la vie, de jouer avec ce pouvoir ainsi que ses conséquences désastreuses provoquées par l’orgueil de se sentir tout puissant.
Conséquences dont auraient été victimes nos créateurs : les Ingénieurs, peuple extraterrestre tout puissant capable de manipuler le vivant. Le thème des Ingénieurs représente à merveille le travail minutieux de création d’atmosphère de Streitenfeld : présenté dans la piste « Engineers », il est composé majoritairement de son synthétiques étranges, créés pour l’occasion, évoquant le battement d’un coeur, ainsi que la son d’un organisme entier en création. A cela s’ajoute d’étranges percussions sur des branches de bambous, jusqu’au son de d’un ruisseau qui semble coulant dans les oreilles de l’auditeurs: l’ensemble forme un tout organique, et extrêmement étrange, évoquant parfaitement ce peuple extraterrestre inconnu, et dont les connaissances et capacités le rende extrêmement inquiétant. Des choeurs sombres s’ajoute à l’ensemble, représentant le côté religieux de ces « Dieux » nous ayant créé, terme qui revient souvent dans le film pour les désigner, le thème de la religion et de la croyance étant un des points centraux du film.
Ce thème est représenté par le personnage d’Elizabeth Shaw, fervente croyante chrétienne et scientifique de grande renommée partie à la recherche des créateur dans l’espoir de prouver que Dieu existerait scientifiquement parlant. Son thème est le plus lumineux du film : entendu notamment dans la piste « Invitation » et interprété de manière plus classique par un orchestre principalement composé de cordes, il représente l’espoir du personnage et sa foi, souvent malmenée mais pourtant intacte tout au long du film. Malgré ses grands élans lyriques, le thème se teint d’une dimension tragique, comme si l’inéluctable n’était que la mort entraîné par l’orgueil de l’homme de vouloir rencontrer ses créateurs.
Le tragique de l’histoire du film est un des côtés prédominants de la partition, et il prend tout son sens dans le thème principal de Prometheus. Entendu dans le morceau « A Planet », il est extrêmement lyrique, et construit comme un grand crescendo, représente l’ineluctable destin de nos personnages, pêchant par orgueil, l’homme ne peut que subir le courroux de ses créateurs. Il représente aussi l’étrange te la peur de la découverte évoqué plus haut, vu qu’il joue le motif principal, cette fois-ci via des cordes majestueuses. Déployé dans toute sa grâce morbide au bout de son crescendo par l’explosion de cuivres puissants, accompagnant la descente du vaisseau dans l’atmosphère orageuse de la planètes des ingénieurs, le morceau impressionne tant il dénote avec le côté expérimental parfois atonale de la partition, finissant d’inscrire l’histoire comme une tragédie au proportion mythique. Ce côté tragique est aussi évoqué à travers le thème du personnage de Weyland (pouvant être entendu dans le morceau « Weyland », milliardaire bercé d’illusions souhaitant accéder à l’imortalité grâce à la rencontre avec ses créateurs, il rejoint de par sa construction le thème de Shaw, les deux personnages nourrissent un même espoir aveugle concernant leurs créateurs.
La partition possède un côté expérimental et atonal intéressant, clairement inspiré par le compositeur contemporain Penderecki, mais surtout par l’impressionnant travail d’Elliot Goldenthal sur la partition du troisième film Alien : partitions folles, clusters de cuivres violents, ces passages accompagnent les moments d’horreurs pures du film, et sont d’une efficacité redoutable.
Notons enfin l’apport du compositeur Harry Gregson-Williams, appelé à la dernière pour réécrire certaines portions du score, et qui nous livre un thème grandiose, majestueux et impressionnant pour la vie, pouvant être entendu dans le morceau « Life ». Il ne contient aucune ambiance morbide ou effrayante, il ne représente que la beauté de la vie et de la création, contrepied majeur au motif du danger cité plus haut.
Marc Streitenfeld créer un véritable univers avec ses compositions, représentant à merveille la peur, l’étrange des créatures et des ingénieurs, mais aussi la beauté tragique de ses scientifiques ayant défié le pouvoir absolue de leurs créateurs. Un récit aux dimensions mythiques et épiques rendu beaucoup plus palpable de par sa musique que par sa mise en image. Dans l’obscurité, le Prometheus poursuit ainsi son chemin dans l’oreille des spectateurs avertis, accompagné par la magnifique épée de Damocles que représente la musique de Streitenfeld.