Le monde du cinéma fait face à une grave crise : depuis le début des années 2000, un envahisseur impose sa loi. Fait de capes et de budgets astronomiques, les blockbusters super-héroïques sont légions et semble invincibles, tant ils écrasent toute tentative de résistance à coup de records au box-office. Mais dans ce pandémonium de divertissements gigantesques, deux clans s’affrontent avec rage et communication façon tanker : les firmes rivales Marvel et DC comics, produites respectivement par les empires Disney et Waner Bros. Mais face au pionnier Marvel, créateur de la mouvance dite de « l’univers étendu », DC fait office de juvénile, vu que ses rangs ne se composent à l’heure actuelle que de 3 films contre 14 pour le camp adverse. Afin de ne pas se laisser distancer par la locomotive Disney, Warner s’affole et décide de précipiter les choses : après un Man of Steel de qualité, mais possédant d’évident défauts, la seconde est passé : l’arlésienne Batman V Superman, longtemps restée dans les tiroirs de la firme, est mise en chantier. L’objectif de l’entreprise : poser les bases de l’univers étendu, teaser la venue du « Avenger-killer » Justice League, réintroduire le Batman après le succès public et critique de la vision Nolan, offrir une suite à Man of Steel et introduire pour la première fois au cinéma le personnage de Wonder Woman. Une entreprise suicidaire en somme, à la tête duquel on place le controversé (mais talentueux) Zack Snyder.
Et ce qui devait arriver arriva : le film est descendu en flamme par le public et la critique à sa sortie. Et il serait difficile de leur donner tort : le long métrage est un cas d’école du film de commande sabordé, tant les coupures et le montage, bien visible même pour les non-avertis, font preuve parfois de non-sens complet, et rende la narration brouillonne, empêchant la lisibilité correcte de l’ensemble. Ainsi, quelques mois plus tard, sort la version longue voulue à la base par le réalisateur. L’opinion a changé, le film est acclamé. Les symboles, intrigues et messages font enfin sens dans un ensemble cohérent et remarquablement bien construit. Ainsi la fresque épique de Snyder prend vie.
Car c’est bien de fresque que l’on pourrait qualifier « Batman V Superman ». L’ambition assumée de Zack Snyder était de présenter ces super-héros comme ils se les aient toujours représenté : sous la forme d’une mythologie moderne, d’un panthéon de dieux inspirant l’humanité par leurs exploits comme les héros Heracles, Achille et compères ont pu inspirer les anciens grecs. L’on peut reprocher beaucoup de choses au cinéaste, mais il est bien difficile de s’attaquer à son sens de l’image et de la mise en scène. Réalisateur avant tout visuel, son cinéma s’axe en premier lieu sur la composition de ses images, ainsi que de leur sens et plus particulièrement de leur symbolique : difficile de ne pas faire de rapprochement entre certains plans du cinéaste et certaines peintures du néoclassicisme et du romantisme (Jacques-Louis David et Delacroix en tête), autant du point de vue de la composition qu’à l’importance apportée au nuances de couleurs utilisées. Rarement ces héros n’auront été représenté de cette manière, tant leur puissance, et d’un certain côté leur « aura » divine n’aura été autant mis en valeur, grâce à la mise en scène soignée et magnifiée par un étalonnage sombre et contrasté de Zack Snyder. En créant ainsi son film, le cinéaste finit d’ancrer ses héros dans une dimension divine et majestueuse, très éloignée du travail classique apporté à l’aspect visuel des productions Marvel. Ici, on sent bien la patte unique de Zack Snyder, et ça fait du bien de voir un film de comics sortir de la masse de cette manière.
Zack Snyder continue de créer l’aspect divin des protagonistes via l’intrigue : Superman n’est ici plus considéré comme un super-héros ou comme un alien, il est considéré comme un Dieu. Un être tout puissant libre d’agir selon son bon vouloir car il ne peut être atteint par les autorités de ce monde. Cette liberté d’action est le point central de l’intrigue. Provoquée par la destruction de Metropolis causée par Zod dans Man of Steel, la légitimité d’un alien tout puissant pouvant tout détruire sur son passage est logiquement remise en cause. Ainsi, l’un des aspects les plus intéressant du film rentre en scène : la critique de l’impact des médias sur l’opinion publique. Inspiré par le comics « The Dark Knight Returns » de Franck Miller, Snyder décide d’en reprendre l’aspect socio-politique : le film est, comme le comics, entrecoupé de journaux télévisés, représentant l’avis de l’opinion publique concernant les péripéties de l’intrigues. Les journalistes (joués par ailleurs par de véritables journalistes, Snyder voulant ancrer le plus possible son récit dans le monde réel) évoquent tout au long du film l’impact de Superman sur le monde, et de cette manière nous pouvons voir que les médias participent grandement à l’aura de terreur provoquée par Superman, de manière exagérée au vu des actions de l’intéressé. Ces médias seront manipulés par l’antagoniste principal du film, Lex Luthor, qui veut amener son plan de grande échelle a exécution grâce à leur pouvoir massif de persuasion. Lex Luthor étant à la tête d’une multinationale importante, le contrôle des médias par de puissant lobby est ainsi critiqué. Les actions de la CIA en Afrique qui ouvrent le premier acte (dévoilée intégralement dans la version longue) offrent un certain regard sur l’interventionnisme américain à l’étrangers, certes brève, mais allant dans le sens de rendre le film d’actualité de par ses messages. En cela, Snyder et David S. Goyer (scénariste du film, ainsi que de la trilogie The Dark Knight) veulent vraiment insuffler de sérieuses thématiques dans leur oeuvre, et donc ne pas proposer qu’un blockbuster sans profondeur, et ancrer l’intrigue dans notre climat socio-politique actuel de manière intéressante.
Lex Luthor apporte par ailleurs une grande dimension religieuse au film. Ses dialogues tournant le plus souvent autour du pouvoir divin, il aura même jusqu’à citer le mythe de prométhée lors d’un discours, évoquant le paradoxe de posséder le savoir sans le pouvoir. Personnage plus intéressant qu’aux premiers abords, Jesse Eisenberg offre une performance captivante, avec une véritable profondeur, torturé par un père violent et donc victime d’un complexe d’infériorité le poussant à vouloir en finir avec Superman, car traumatisé par les figures d’autorités, un autre thème majeur du film.
Les figures d’autorités ainsi que la liberté d’agir sont au coeur du récit, notamment à travers le personnage de Clark Kent aka Superman. Le héros est ici est pleine crise identitaire : venant de découvrir ses pouvoirs et s’étant révélé au monde malgré lui, il ne sait comment bien agir dans une société qui n’est visiblement pas encore prête à l’accepter en son sein, ses actions ainsi que leur impact allant dans le sens de ce regard de l’interventionnisme lancé dans le premier acte du film : quand on a tous les pouvoirs, cela veut il dire que l’on est en droit d’intervenir lorsqu’on le veut s’en en discuter avec les forces en présences, au risque de laisser des personnes mourrir ? Henry Cavill offre une performance tout en nuance du personnage, d’habitude incarné de manière plus solaire et « joyeuse ». Beaucoup critiquée, cette prise de risque est toute fois logique dans le cadre du film : comme dit plus haut, la volonté d’ancrer le film dans notre société actuelle est un des pivots du film pour Snyder. Les répercussions du kryptonien représentent notre peur actuelle, notre paranoïa envers le terrorisme, envers une menace qui peut venir de partout. Le Superman de ce film reste malgré tout fidèle à son modèle de papier dans le sens où il veut prouver que l’espoir subsiste malgré le climat étouffant et anxiogène de notre société. Il veut représenter cet espoir, comme ses pères veulent qu’il le représente pour la Terre. Son action finale représentant son dévouement total au peuple de la terre, lui prouvant qu’il avait tort depuis le début de se méfier d’un être supérieur leur voulant pourtant du bien. Pour ceux qui trouve que le film est trop sombre comparé à la tendance Marvel : la lumière ne peut sortir que de l’obscurité, et c’est en cela que consiste le message de la conclusion, de par son action, Superman prouve qu’il y a toujours de l’espoir, que l’on peut le trouver même dans la plus sombre obscurité, il suffit de vouloir le trouver, et de ne pas se morfondre dans les ténèbres.
Tel est le parcours du personnage de Bruce Wayne, campé ici par Ben Affleck. Batman est ici quarantenaire, cynique et désabusé après 20 ans de lutte à Gotham. L’intelligence de Snyder est de le représenter comme un méchant plutôt que comme un héros : ses méthodes d’action sont violentes, ses décisions discutables, et sa première apparition reprend tous les codes de mise en scène du cinéma d’horreur. Ben Affleck est impressionnant dans sa composition : physiquement, c’est un monstre, rendant le Batman d’autant plus impressionnant et terrifiant. Mais il offre surtout le Bruce Wayne le plus fidèle au comics jusqu’alors, autant dans ses mimiques, son jeu ainsi que dans son physique. Toute l’imagerie associée au personnage est sombre, dessaturée au possible, et extrêmement gothique, voir baroque, notamment dans les différents rêves et visions dont il est victime, offrant au film quelques « à côté » fantastiques intéressants visuellement et accentuant son traumatisme. Tout son combat contre la figure divine de Superman va permettre au final au personnage de se remettre en question et de sortir de l’ombre en représentant tout le message encore une fois apporté par Superman : il ne faut pas tourner le dos à l’espoir.
Le film est enfin servit par une musique à la fois sombre et grandiose livrée par le duo Hans Zimmer et Tom Holkenborg (aka Junkie XL), qui finit d’appuyer la dimension mythologique du film de Snyder grâce à des thèmes tragiques et guerriers, des atmosphères puissantes donnant à « Batman V Superman » des atours de fresque épique.
« Batman V Superman » sort vraiment du lot des vagues de films super-héroïques actuels : visuellement intéressants dans ses partis pris, ancré dans notre société, abordant des sujets profonds tels que l’impact des médias, l’interventionnisme ou bien notre rapport avec Dieu et la religion en général, Snyder s’est sortit de cette « opération suicide » en livrant une fresque gigantesque et impressionnante qui ne peut laisser indifférent (que l’on aime ou pas). En cela, elle représente en tout point une première victoire fracassante de DC face à Marvel, tant par sa forme que par son fond. Sa gestion des enjeux, la représentation des conséquences des actions de ses surhommes (aka la destruction de Metropolis et son impact étant le point de départ de l'intrigue) entérine une bonne fois pour toute le manque d'importance de ceux-ci dans la construction sérielle du Marvel Cinématique Universe, et fait de l'univers DC un univers plus adulte et plus sombre. En espérant qu’avec l’impact de cette version longue sur les spectateurs, les producteurs commencent enfin à se rappeler qu’un film est avant tout une oeuvre artistique, la vision d’un auteur avant d’être un produit.