Six mois après le chef d'oeuvre absolu - et triomphe commercial - de "Kimono My House", Ron Mael a déjà composé une douzaine de nouvelles chansons, et ce, tout en donnant pas mal de concerts. "Propaganda" est donc enregistré par la même équipe - musiciens et producteur - puisqu'il est dit que 1) il faut battre le fer pendant qu'il est chaud 2) on ne change pas une équipe qui gagne. Et si "Kimono My House" n'avait pas existé, nous serions tous beaucoup plus enthousiastes encore vis à vis de cet album qui, en toute logique, ressemble à son prédécesseur, en un tantinet (mais alors juste un tantinet...) moins bon.
Un peu moins "Rock", "Propaganda" retrouve çà et là les ambiances kitschs / baroques, les morceaux plus idiosyncratiques des deux premiers albums de Sparks, ce qui indique clairement une reprise des commandes par Ron après les compromis de "Kimono...", qui avaient permis l'explosion sur le marché anglais alors en pleine célébration du "Rock décadent" et du glam-rock. "Propaganda" contient aussi la plus belle chanson de Sparks, le roucoulant et somptueux "slow" de "Never Turn Your Back on Mother Earth" (j'utilise le mot, très ringard de "slow", parce que, alors que j'avais 16 ans, nombre de "groupes de bal" de province reprenaient cette chanson idéale pour le moment séduction, sans même parler de sa rotation élevée dans les boums lycéennes !), et ne serait-ce que pour cela, restera très près du sommet de l'oeuvre "sparksienne".
Démarrant à plein régime avec les déclamations opératiques de "Propaganda" (on peut vraiment prendre le pari que Freddy Mercury et sa bande auront écouté Sparks avant de lancer leur offensive à eux quelques mois plus tard...) et le tube imparable de "At Home, at Work, at Play", le quatrième album de Sparks n'aligne guère que de bonnes chansons, qui ont le seul défaut d'être un tout petit cran en-dessous du lot précédent, mais dégagent une énergie fantastique. Les sommets de l'album restent probablement le furieux et tragique "Don't Leave Me Alone with Her", et l'hystérique "Something for the Girl with Everything". On notera, après le saxo et le chant dissonants de "Equator" dans l'album précédent, deux très belles idées décalées de Ron : la boucle de guitare qui termine étrangement "Who don't like kids" et l'intuition géniale de noyer dans des éternuements croissants la mélodie superbe de "Achoo".
Bref, "Propaganda" est un régal indiscutable, une autre bombe "commerciale" qui anticipe pourtant le retour de Sparks à une musique plus singulière, beaucoup moins consensuelle, qui explosera dans toute sa splendeur - et au désespoir certain de Island - dans l'album suivant, "Indiscreet". Mais, en 1974, il est encore beaucoup trop tôt pour imaginer un tel virage à angle droit...
PS : La pochette de "Propaganda", très originale, marque le début d'un concept qui sera régulièrement décliné tout au long de la discographie de Sparks, celui de la narration d'une histoire absurde et décalée, dont Ron et Russell sont tout autant les héros ridicules que les victimes impuissantes. C'est une réussite.
PPS : "Marry Me", face B de single, apparue sur les versions CD re-digitalisées postérieures, aurait pu être aussi une grande chanson, si elle avait été traitée avec moins de négligence, mais sa place aurait certainement été au sein de l'album suivant.
[Critique écrite en 2020]