Je pense que si adolescent je n'avais pas entendu parler de Queen, Sparks aurait été mon groupe moteur, celui qui m'aurait ouvert à la musique en général et dont j'aurais imaginé chaque ligne de texte directement adressée à ma vacillante ébauche de personne.
Avec sa pochette qui semble illustrer le titre Bon Voyage, le groupe, la fratrie, développe son iconographie faite du bondissant Russel et du Stoïque Ron, Mickey Mouse et Walt Disney main dans la main, faisant équipe pour la bonne cause.
Comment peut-on dans ces conditions frôler le post-punk alors même que le punk tout court n'est pas encore venu ? Eh bien il suffit d'écouter At Home, At Work, At Play ou Reinforcements pour que le lien entre le ragtime de 1896 et Sid Vicious soit fait de façon non euclidienne. Russel court après la main droite de Ron, tout le monde est content et la frontière entre slogan publicitaire, hymne national et pop song ultime fond comme neige au soleil.
Quand débute B.C. on se dit "Ok c'est bon la virtuosité on a compris, vous êtes les plus forts", l'assurance de ce moustachu commence à énerver, depuis quand la pop est-elle un art majeur ?
Avec son sens du titre, Thanks But No Thanks finit d'ancrer l'angoisse sociale dans le paysage pop de la façon la plus guillerette imaginable.
Don't Leave Me Alone WIth Her fait se mordre les lèvres au bouclé Russel sous la lumière tandis que pianote un ténébreux Ron pas dupe une seconde.
Le sublime Never Turn Your Back on Mother Earth inscrit un classique de plus à la galerie chatoyante des icônes du groupes, maintes fois reprises mais difficilement égalée (ben oui Depeche Mode, désolé).
Et puis, BLAM ! alors qu'on a cru atteindre un sommet, Something For the Girl With Everything dévale, tous claviers dehors, vertigineuse, enlevée, montagne russe toute en maîtrise où chaque sortie de virage est en réalité inscrite au programme. C'est beau, et un petit coup de Faith No More au passage bien des années plus tard ne fera pas de mal.
Bon, Achoo essaie de démontrer qu'on peut écrire sur tous les sujets, et réussit en prouvant le pouvoir insoupçonné d'un réflexe physiologique capable de stopper un opéra.
On verra plus tard pour la reproduction puisque Who Don't Like Kids nous apprend que l'âge adulte attendra encore un peu (avec un choeur d'enfants sinon c'est pas drôle).
Mais contemplez donc cette couverture aux frères ligotés recto sur un bateau, verso dans un coffre, pour mieux vous imprégner de ce Bon Voyage virtuose. Russel transforme son syndrome de Stockholm en or lors de ces 4 minutes 53 de virtuosité dont le sillage rebondira encore longtemps, en guise d'oraison funèbre pourquoi pas, après ce passage tumultueux qu'on appelle volontiers vie.
Oh la la mais que cette critique est pompeuse ! Que ces formulations encombrantes semblent issues d'une vente aux enchères de qualificatifs sinon rococo au moins baroques ! Intimement, je pense que c'est l'essence même de Sparks, la banalité hissée au rang de tragédie grecque, le cartoon comme expression des angoisses les plus pudiquement occultées. Mickey Mouse et Walt Disney entrant en thérapie de couple.
Bon j'arrête, ça devient indiscret.