Sur la pochette, le lettrage est identique, ou presque, à celui de l'affiche originale de Blade Runner, le film de Ridley Scott. Et pour cause, à l'exploration de ces paysages sonores une impression s'impose, comme une évidence : Psyence Fiction semble avoir été conçu comme une bande-son alternative, un soundtrack fantasmé du film-culte de science-fiction. Les deux œuvres convoquent les mêmes ambiances, provoquent des sentiments étrangement similaires, évoquent les mêmes images pluvieuses et mornes.
U.N.K.L.E. est le non-groupe par excellence : véritable concept né de l'ambition suicidaire de James Lavelle, du label Mo'Wax, le pionnier de l'abstract hip-hop, et accouché dans la douleur par le génialissime Josh Davis, alias DJ Shadow, donnant naissance au premier véritable album portant la paternité du concept. Un accouchement dont les séquelles traumatiques provoqueront la dissolution totale du célèbre label et enterreront, du moins pour un temps, le projet U.N.K.L.E. qui venait à peine de voir le jour.
Ce qui reste de tous ces défunts, c'est un diamant brut, inaltérable et sombre, un album crépusculaire et urbain, hybride et tentaculaire, un album qui transpire la mélancolie et le doute. Avec ses beats craquants ou poisseux, suivant un rythme désordonné, tachycardiaque, ou calme et régulier comme la pluie, avec ses samples de programmes télé, d'annonces publicitaires radiophoniques (on pourra reconnaître entre autre un extrait de la toute première bande-annonce de Star Wars) ou de jeux vidéo qui interviennent par intermittence comme pour souligner une contemplation paranoïaque d'un monde assailli par l'information et les multi-médias.
Témoignant d'un mélange de genres parfaitement maîtrisé, utilisant avec intelligence les contrastes pour aboutir à un son cosmopolite et métissé, DJ Shadow construit un monde désincarné pour mieux faire ressortir la vibrante humanité d'un prestigieux casting d'artistes qui semblent n'avoir jamais chanté aussi bien qu'ici.
Entrecoupé de deux énormissimes bombes de hip-hop insensé et déchaîné, nappé par le flow virtuose de Kool J Rap et Mike D. des Beastie Boys (Guns Blazing et The Knock), Psyence Fiction est un voyage dans des contrées musicales constamment changeantes, aménageant tout autant d'espaces pour l'auditeur qui peut à loisir s'y perdre avec délice.
Ainsi, la voix d'Alice Temple se réchauffe progressivement sur ce qui est peut-être l'une des plus belles balades de trip-hop jamais composée (Bloodstain), Richard Ashcroft (chanteur de The Verve) hante littéralement l'envoûtant et bien nommé Lonely Soul, l'électricité dépressionnaire d'une guitare-cyclone qui envoie tout balader avec jubilation sur Nursery Rhyme et son fameux crescendo final, magnifique, puis Atlantique pose toute sa délicatesse sur une nappe acoustique le temps d'une promenade paisible pour l'antithétique Chaos, tandis que Thom Yorke illumine de sa voix merveilleusement fragile ce sombre carrefour musical qu'est Rabbit In Your Headlights pour atteindre l'un des plus hauts sommets du voyage.
Puis, il y a ces entre-deux instrumentaux faits d'expérimentations déconcertantes dans lesquelles DJ Shadow s'illustre en maître du sampling, principalement sur le sublime et symphonique Celestial Annihilation. Et dans l'édition japonaise, le curieusement inédit Be There, chef d’œuvre émotionnel reprenant l'instrumental Unreal sur lequel le soulfull Ian Brow appose magistralement sa voix.
Le miracle de Psyence Fiction est de conserver une même ambiance, cette même tonalité mélancolique et pesante alors qu'il traverse les genres les plus variés. Et au final, l’œuvre se pare du caractère singulier d'un work-in-progress dans lequel DJ Shadow annonce déjà les couleurs du génialissime, immense et ultime Endtroducing.
Erratum : bon ben, Endtroducing était déjà depuis quelques temps dans les bacs^^