Damso n'a pas fait QALF pour ses auditeurs, il l'a fait pour lui.
Dans la musicalité et dans la façon dont les thèmes sont abordés. Des thèmes d'ailleurs, il n'y en a pas vraiment. Juste William.
Pas de morceaux chocs à la manière de l'anxiogène Une âme pour deux ou du fameux Julien. Pas d'enrobage pseudo-intellectuel à base de lettres grecs dans la tracklist ou de titre énigmatique. Une fois passé les deux premiers morceaux d'entrée en scène torse bombé et regard déterminé, Damso ralentit, perd de la vitesse pour mieux compter ses pas et prendre soin de ses proches (il parle à la fois en tant que père et en tant que fils dans cet album). Il ralentit jusqu'à suspendre le temps et se permettre de souffler un peu maintenant qu'il a enfin rejoint William dans cette fuite en avant qui nous complait tellement loin des autres. L'homme semble être plus ouvert et le rappeur plus apaisé.
C'est un projet qui, dans le ressenti que j'ai eu, sonne plus dépouillé que ses albums précédents, ça dénote de ce qu'il a pu faire auparavant par la présence moindre de sonorités synthétiques modernes. C'est ce qui m'a frappé dés la première écoute. Il y a des sonorités plus acoustiques, notamment des genres d'instruments à cordes sur les titres COEUR EN MIETTES (une guitare et une batterie je crois) ou INTRO par exemple. À l'image de cette cover on ne peut plus sobre, Damso ne cherche plus à nous impressionner, à "faire du sale", à poser et imposer sa forte présence vocale sur des productions noyés dans les grosses basses et les effets de style. À la limite, les morceaux qui ressemblent le plus à la noirceur animale qu'on lui connaît sont BXL ZOO et D'JA ROULÉ (ce morceau me rappelle Noob Saibot sur Ipséité). Ici, les instrumentales sont plus minimalistes, et il y a une grosse présence de percussions avec un grain usé. Moins de mélodies marquantes ou de type "single" aussi, QALF est davantage une bulle de mélancolie qui s'écoute d'une traite et dont l'impact se ressent sur la durée. Pour parler pompeusement parce qu'on adore le symbolisme, ça sonne plus William que Damso.
On retrouve, dans les textes comme dans la musicalité de certains titres, un besoin de retour aux sources, aux origines, aux racines. Damso s'inspire, nous partage et rend hommage à la musique africaine (déjà expérimenté sur le morceau Kin la belle sur Ipséité) : le début de MEVTR aux sonorités orientales, les intonations qu'il prend sur POUR L'ARGENT, le morceau FAIS ÇA BIEN avec la présence de Fally Ipupa, la seconde moitié de INTRO qui me rappelle le chœur sur Ciel noir de Nekfeu dans l'exécution.
Un retour aux sources aussi rapologique s'opère timidement. On revient à quelques bases après Lithopédion qui était son plus gros virage vers la chanson française selon moi, par son aspect très littéraire aussi. Damso livre d'excellentes prestations de kickage, avec ce flow mi-découpé mi-chanté qui le caractérise. On dirait qu'il surfe sur les instrumentales, c'est impressionnant.
Il faut cependant noter quelque chose qui selon moi participe fortement à l'aspect presque old school qui me séduit tant dans cet album. C'est la construction, la cohérence bâtie avec les samples, l'interlude radio, les interventions extérieures, etc. C'est un énorme plus-value pour ceux qui comme moi fonctionnent à l'écoute visuelle. QALF, ce sont les fragments de pensées de quelqu'un qui erre seul le soir en faisant le bilan de sa vie, mais le monde et l'agitation tournent toujours autour de lui. Il y a une fibre de solitude urbaine qui suinte dans QALF.
Is he lonely, hmm, hmm ?
Batterie Faible, Ipséité et Lithopédion, aussi différents et qualitatifs soient-ils, avaient dans leur ambiance aussi bien sonore que visuelle une sorte de claustrophobie psychologique. Des bulles de noirceur, de vulgarité, de haine, de sentiments avortés, dans lesquelles Damso se noyait dans sa propre bile, nous écrasait dans ce gouffre qu'il creusait dans la psyché. Dans QALF, nous ne sommes plus enfermés avec lui dans son coeur ou dans son esprit. Damso/William nous laisse respirer, nous laisse l'accompagner dans son errance introspective mais désormais plus terre-à-terre. Il est toujours aussi cru, mais plus ouvert à la compréhension de l'autre, plus à même de regarder derrière soi et de porter un regard plus clément envers ceux et surtout celles qui sont à même de partager sa vie.
"Apaisé", c'est selon moi le mot qui convient parfaitement et qui donne la couleur de cet album. Ce n'est pas moraliste, c'est transitionnel. Ce n'est pas sombre, ce n'est pas ensoleillé non plus, c'est crépusculaire, à l'image de l'entêtant morceau 911 ou de cette immense promesse de l'aube que Damso fait à sa mère. Il y a de l'espoir et Damso nous reviendra meilleur.