QALF
6.5
QALF

Album de Damso (2020)

Qu'il l'ait produit pour lui ou pour son poisson rouge, qu'est ce que ça peut bien changer ?

J'entends que Damso a bien raison de faire des albums pour lui-même, comme le fait tout artiste pour qui le public est un interlocuteur avec qui dialoguer pour s'entendre parler, et non une simple vache à lait. Toutefois, du moment où il expose son œuvre au public, il s'expose tout naturellement à son jugement, et l'argument selon lequel l'album serait personnel donc au-delà de tout jugement extérieur crédible parce que cantonné à une sphère intime inaccessible ne m'apparaît que comme la pirouette du fan qui cherche à escamoter sa déception. Que Damso ait produit cet album pour son poisson rouge ou bien pour sa grand-mère, je m'en tamponne le coquillard ; il est là, et il appelle donc à se positionner.


Et là, aïe. Naufrage. On ne retrouve plus la virulence hardcore d'un des paroliers les plus subtilement vulgaires du rap français, mais le bât ne blesse pas ici : plus qu'un style ou qu'une forme de rage, ce qui manque, c'est tout simplement la qualité. Les lyrics de QALF paraissent anémiques, décevant par leur absence de profondeur et la simplicité de leur construction plus que par leur volontaire (bien que relatif) adoucissement. Ils s'effacent en fait sur chaque track pour laisser la place à des instrus elles-aussi moins agressives et beaucoup plus planantes, qui sonnent comme le cœur véritable d'un projet expérimental qui voit le MC chercher comme à se diluer dans sa musique. On parle sur ce site de révolution thématique (plus d'amour, son fils, sa mère, moins de violence) et celle-ci est réelle, mais elle me paraît avant tout être le corollaire d'une révolution formelle, véritable cœur de QALF.


Leurs basses moins présentes au profit de plages acoustiques et/ou de sections éthérées planantes, les instrumentaux se greffent sur les thèmes abordés et sur la voix apaisée, souvent chantante, de Damso, dans un projet avant tout atmosphérique qui paraît chercher à dévoiler un rappeur confronté à une nouvelle facette de sa déshumanisation. Celle-ci, le thème de l'amour ne parvient semble-t-il pas à la combattre tout à fait - les amours de Damso sont d'ailleurs toujours ombrageux et contrariés (par sa peur d'être père, par la maladie de sa mère). Au fond, les textes de Dems rabâchent toujours surtout, même délestés d'une part de leur violence et de leur caractère provocant, le quotidien d'un OG en quête de fric, de femmes et de moyens d'assouvir sa volonté de puissance, quotidien construit sur le dégoût du monde et où Damso se remplit de lui-même face au vide qu'est pour lui l'extérieur.


Ce qui bouleverse l'utilisation que le MC fait de sa plume, c'est en fait plutôt que dans les thèmes qu'il aborde, leur pure mise en forme. Moins de punchlines, des tempi vocaux nettement ralentis, des boucles lyricales répétées et une tendance nettement atténuée à claquer des formules choc qui culminent parfois à l'aphorisme : tout dans ce rap qui vire presque à la chanson paraît vouloir se dissoudre dans l'atmosphère mise en place, trouver une forme de dialogue plus aboutie avec des instrumentaux avec lesquels Damso cherche à faire corps plus qu'il ne souhaite y poser un flow. L'approche est évidemment expérimentale, se dégageant avec une netteté indubitable des codes du rap mainstream, et on peut saluer son courage. Que Damso cherche-t-il à y explorer ? Pense-t-il qu'il a assez tourné en rond dans ses thèmes de prédilection, assez joué de virtuosité verbale pour se décrire et se reconnaître, et qu'aujourd'hui son voyage intérieur doit pour se poursuivre devenir esthétique ? Pense-t-il qu'à travers la forme d'épure à laquelle il vise, il puisse parvenir à des données essentielles de son identité, dans une démarche quasi-transcendante ? Mystère. Toujours est-il qu'à mes oreilles, la démarche est un échec sans appel.


Le recul du MC, malheureusement, échoue à mon sens à provoquer l'appel d'air nécessaire pour invoquer une montée en puissance musicale. Le rap n'est après tout pas tout à fait de la musique et ressort plus de la poésie ; les instrumentaux y posent un décor et une matrice audio dont doit se nourrir la voix du kicker qui l'adopte. Rarement peut-elle être à elle-même sa propre raison d'être, et en standalone, même les meilleures instrus d'un Dre ne tiennent pas très bien la distance au-delà de l'accroche imparable que génèrent souvent leurs lignes mélodiques. Or, le travail de production de QALF renchérit sur les limites déjà observables sur Lithopédion, l'indigence de ses instrus soulignée par le recul des vocaux du MC bruxellois. Leur mariage génère trop souvent l'impression d'un ensemble bâtard, celui d'une musique qui balbutie et ne parvient jamais à advenir à la vie, sans texte fort, sans identité franche et sans assise musicale.


On saluera quand même le courage de la tentative. Puis, je suppose, qui aime likera, comme l'indique un titre qui a le mérite de la lucidité, au détriment d'une forme de poésie qui a déserté cet opus d'un artiste qui n'a cependant toujours pas à mes yeux concrétisé la moitié de ses promesses.

Kloden
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le 22 sept. 2020

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