Le dernier opus de Dominique A n’est pas un album « normal ». Et pas seulement parce qu’il est double et dure une paire d’heures… Quelques lumières est une sorte de compilation, une sélection de « lumières », de titres extraits de la riche et opulente discographie de Monsieur Ané, depuis l’incontournable Courage des Oiseaux (la Fossette – 1992) jusqu’à les Eveillés (Vie étrange – 2020), avec, en bonus deux inédits, l’un intitulé justement Quelques lumières, et l’autre les Animaux… Mais c’est bien mieux qu’une « simple » compilation, puisque quatorze titres nous sont offerts en version orchestrale, avec l’aide de l’Orchestre de Chambre de Genève et de ses quarante musiciennes et musiciens, et quatorze autres en version dite « acoustique ». Quelques lumières est donc une « création originale », qui pourrait même marquer un tournant dans la discographie de Dominique, mêlant habilement des sonorités modernes à un style déjà bien établi.

Sans surprise, Quelques lumières confirme la singularité du « grand Dominique », un artiste qui a toujours navigué avec finesse entre poésie et musicalité. Les textes – dont on connaît la profondeur, la capacité à capturer des sentiments complexes, ambigus – des 28 chansons sélectionnées ici, explorent des thématiques qui lui sont chères : la mélancolie essentielle de la vie (Dominique A est un maître du « spleen » au sens baudelairien du mot), l’espoir qui continue à nous faire avancer, la richesse et la complexité des relations humaines (et pas seulement amoureuses !). Dominique A s’y livre, comme dans tous ses disques, avec une vulnérabilité qui nous touche : comment ne pas sentir son cœur se serrer en écoutant l’évocation du drame des populations bombardées, dans le Ruban, à l’heure du calvaire vécu par les populations de Gaza et du Liban ?

Néanmoins, Quelques lumières ne manquera pas de diviser les fans de Dominique A. Comment ne pas relever que l’adaptation de certains titres en « version orchestre symphonique » est très inégale ? Si certaines chansons bénéficient du souffle épique, cinématographique souvent, apporté par le grand orchestre (le plus frappant est la sidérante version offerte ici de Corps de ferme à l’abandon, décidément un sommet de la discographie de Dominique), d’autres souffrent cruellement de cette orchestration, qui renforce maladroitement la tendance occasionnelle de Dominique A à la grandiloquence, et portent ombrage à la subtilité des mots et à l’intensité du chant. C’est une grande tristesse de voir la magnifique Eléor partiellement mutilée de sa géniale mélodie, ou de déplorer que la transcendance du Courage des Oiseaux soit détruite par l’emphase baroque de sa nouvelle orchestration, ou pire encore, d’affronter un pur contresens entre texte et orchestration sur un Twenty-Two Bar littéralement aberrant !

À l’inverse, les interprétations « acoustique » – mais pas « en solo », Dominique étant accompagné par différents musiciens en charge des guitares, du piano, de la contrebasse – se révèlent plus captivantes. Des arrangements, bien plus délicats que ceux du premier disque, mettent en valeur la richesse des compositions, sans écraser ni, à l’inverse, surligner de manière disproportionnée la poésie de l’artiste. L’intimité des sons acoustiques permet à Dominique A de briller, d’atteindre une profondeur qui, paradoxalement, se voyait parfois noyée dans le tumulte symphonique. C’est ainsi, par exemple, que les Eveillés est ici littéralement sublime de justesse et d’émotion. Et même quand la mélodie originale est « oubliée », comme dans Rendez-nous la lumière, la chanson fonctionne parfaitement au niveau émotionnel. Il est également fascinant de noter combien, dans l’inédit Les Animaux, Dominique sonne comme une version allégée de Manset… Et puis il y a le bouleversant l’Humanité, encore un titre d’actualité, qui chante la douleur de parents découvrant que leur fils aimé est devenu un extrémiste, trahison insoutenable de tout l’amour qui lui a été donné au cours de son enfance…

Malgré ses quelques faiblesses, Quelques lumières reste une œuvre passionnante, prouvant que Dominique A est toujours désireux de se réinventer formellement, sans trahir son univers, où la musicalité et les mots se rencontrent avec une intensité peu commune chez les artistes français. Questionnant – même parfois maladroitement – notre rapport à la grandeur et à l’intime, Quelques lumières saura trouver sa place dans notre cœur et notre vie.

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/10/23/dominique-a-quelques-lumieres-pile-et-face/

EricDebarnot
7
Écrit par

Créée

le 25 oct. 2024

Critique lue 47 fois

1 j'aime

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 47 fois

1

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

205 j'aime

152

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

191 j'aime

115

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

190 j'aime

25