Le tenace consensus affectueux qui entoure cet album, et auquel je ne prétends pas échapper, s’explique peut-être par les deux vies dont il a bénéficié. Surgi en sandwich entre deux foutages de gueule (McCartney et Wild Life), il fut à sa sortie un immense soupir de soulagement pour les fans d’alors (Paul is back, Paul can do it, Paul will survive). Et pour la postérité, c’est là que Paul s’est identifié comme le champion et le garant de l’essence profondément pop des Beatles. De là à le sacrer héritier musical légitime du groupe, celui qui va le prolonger et le faire vivre, il n’y a pas loin, d’autant plus que c’est aussi la conviction intime de Paul lui-même (comme en attesteront ses rétro-covers sans fin) et que le titre n’intéresse aucun des trois autres.
Mais au fond, et si Ram était le résultat d’une illusion d’optique de génie ? On sait combien la perte de son alter ego a pu laisser Paul désemparé après la séparation des Beatles – et si on l’ignore, il suffit d’écouter McCartney, titre signifiant avant tout Sans Lennon. Alors, pour remplacer son bras droit amputé, le gaucher s’est tout bonnement scindé en deux, donnant naissance à un nouveau tandem.
L’oncle Albert et l’amiral Halsey ont réellement existé. Le premier était l’oncle de Paul et le second, amiral pendant la seconde guerre mondiale, est un choix random de symbole de l’autorité, « et donc pas à prendre au sérieux » ajoute Paul. Un ajout bien regrettable, et qui devait s’avérer lourd de conséquences pour la suite. Mais n’anticipons pas.
Tonton Albert est adorable. Il ouvre sa porte à tout le monde – c’est la pure vérité, il a même ouvert à ma sœur qui ne s’en est pas encore remise, il a jamais dit du mal de personne à part de Tonton John, il vous invite à prendre le thé en poussant la chansonnette, il vous montre plein de photos de sa famille - mais vraiment plein, il les garde toutes, y compris celles qui sont ratées – et souvent il vous retient à dîner, et il vous demande comment vous trouvez sa soupe. Car il a un faible pour la soupe.
L’amiral Halsey a les mains à travers l’eau, et la tête à travers le ciel. Il a pas de home studio, il fait pas de chansonnettes, il vous montre pas de photos et il fait pas de soupe. On n’a pas besoin de lui dire « We're so sorry Uncle Albert / We're so sorry if we caused you any pain », vu qu’il n’y a aucune raison de le blesser : aventurier hardi, explorateur curieux, il se sort toujours les doigts du cul et il nous laisse toujours sur le nôtre.
Tonton Albert, c’est un peu Paul, mais c’est pas tout Paul. L’amiral Halsey, c’est un peu John, mais c’est pas tout John. De sorte qu’Albert-Halsey, c’est un peu Lennon-McCartney, mais c’est pas Lennon-McCartney. Quoi qu’il en soit, comme sur ce coup-là Albert et Halsey sont également présents et plus complémentaires que conflictuels, l’illusion est drôlement réussie.Les illusionnistes, on les appelle aussi, parfois, des magiciens.
Ram, le bien nommé, charge comme un bélier. Tonton et l’amiral s’y affrontent dans cette saine émulation qui fit les beaux jours des deux autres, chacun d’eux se donnant à fond et donnant le meilleur de lui-même. Les ritournelles de Tonton portent haut ce qu’il sait faire de mieux, harmonies, roucoulades, crooning et mélodie (Dear boy, virtuose, Back seat of my car, sa plus belle photo). L’amiral s’assure de la force et de l’énergie du son, ça doit claquer, ample et crystal-clear, jubilatoire quoi, chauffant-Marcel grave à l’occasion (Smile away, carrément psychopathe sur Monkberry moon delight, au fou !). Uncle Albert / Admiral Halsey étant un peu leur A day in the life à eux….
Dans le monde réel, Paul est en bisbille avec l’autre et le fait savoir (lourdement), pas grave. La suite nous apprendra qu’il raconte sa vie, littéralement, sur un mode narratif. Plus ennuyeuse est la rivalité mimétique qui le pousse à bombarder Linda, qui ne sait pas jouer et chante comme une poissarde aphone, sur le devant de la scène. Et ça va durer un moment…
Mais je ne pousserai pas plus loin l'analyse musicale et événementielle, le redoutable Saint-John étant déjà passé par là. Pour les potins croustillants et la perspicacité pointue, c'est ici :
https://www.senscritique.com/album/Ram/critique/30869558
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Cette chronique fait partie de la rétrospective consacrée à l'oeuvre de Paul que j'ai entreprise :
https://www.senscritique.com/liste/Revisiting_Paul_Mc_Cartney_before_the_end_of_the_end/2221531