Ready for the House
6.2
Ready for the House

Album de Jandek (1978)

Jandek est fou. Forcément. Car s'il est sain d'esprit, alors c'est le monde qui a perdu la raison.


Tout a commencé par un nom. Jandek ? Difficile d'estimer son origine, ça sonne un peu scandinave non ? Ah, il est américain ? Sterling Smith dites-vous ? Bon. Un titre d'album maintenant. Ready For the House. J'avais écouté les Happy Mondays récemment, alors ce n'était pas un peu de House qui allait me faire peur. Je plaisantais (mal), je croyais être prêt. Puis une pochette. On aurait dit un ready-made : un fauteuil, une table de chevet, une lampe, une fenêtre ; une partie d'un salon. Mal cadré... non-cadré plutôt. Ça aurait tout aussi bien pu être n'importe quelle autre photo, me semblait-il. Et la musique. La musique. Je ne... euh. Bon. Vous savez ce que c'est l'intervalle du Diable ?


Je ne vais pas vous faire un cours sur un sujet que je ne maîtrise pas moi-même, mais en bref l'intervalle du Diable, c'est une quarte augmentée. Un accord qu'on utilisait à foison dans la composition des chants grégoriens du Moyen-Âge, et qui a été progressivement banni aux abords de la Renaissance à cause de sa connotation... maléfique. L'intervalle était si dur à l'oreille, si dissonant et source de tension qu'on y associa l'incarnation du « Diable en musique ». De quoi faire sourire l'homme moderne aventureux du XXIème siècle, qui n'a pas peur d'aller s'enfiler du Merzbow en trempant sa cracotte dans son Nesquick au petit matin. Sauf que voilà. Dans le cas de Jandek, c'est autre chose. L'américain (puisqu'on me confirme à nouveau dans l'oreillette qu'il est bien né sur cette planète) a accordé lui-même sa guitare. Enfin je suis sûr qu'il croit l'avoir accordée. En réalité, chaque corde sonne faux : cet accordage paraît n'avoir aucun sens pour le commun des mortels. Sur ses morceaux Jandek semble jouer de ses cordes à vide, comme s'il avait une trouille bleue à l'idée de poser sa main gauche sur le manche de sa gratte. L'ensemble de l'album est joué avec le même accordage avec les mêmes notes. Vous voyez, tout l'intérêt de l'intervalle du Diable, c'est qu'il crée une tension. Une dissonance qui fait monter la sauce et qui DOIT être résolue. C'est là tout son intérêt, il perturbe le flot harmonique précisément pour donner une force à sa résolution. À vrai dire, je n'ai aucune idée de si l'accordage de Jandek suit des intervalles diabolique, je n'ai pas l'oreille pour en juger, seule est évidente la dissonance absolue qui y règne. Et notre ami tortionnaire lui, ne fait qu'accumuler sans cesse une tension harmonique qui ne trouve jamais sa résolution. Imaginez trois quarts d'heure de couilles bleues. Lorsque le premier morceau, « Naked In The Afternoon » et son texte ultra-glauque (ouais, ses paroles mériteraient aussi qu'on s'y arrête) déclamé sans élan, sans la moindre affectation avec une voix de mort-vivant... hem, je disais lorsque le premier morceau s'achève, qu'on croit pouvoir passer à la suite, le suivant brise toute chance de voir évoluer les choses tant il paraît identique au précédent. Du zombie-blues ad libitum.


Coincé dans le purgatoire, condamné à répéter le même motif dis-harmonique jusqu'à la fin des temps, on comprend mieux pourquoi Jandek est devenu fou. Cela fait probablement une éternité qu'il n'a plus de tympans. Robert Johnson a passé un pacte avec le Malin ; Jandek, c'est Robert après que le Diable soit venu collecter son dû. Mais le pire dans cette affaire, le plus gênant, le plus terrifiant, c'est que celui qui aura le malheur de plonger son regard au fond de celui, vide, de Jandek court le risque d'être aspiré par cet ineffable vortex (in)humain. Happé par une « atmosphère », rentrant dans le « délire », vous commencerez alors à compatir pour Jandek, ressentir l'immense désespoir que vous penserez y percevoir. Alors vous serez foutus. Je crois d'ailleurs que ça m'est un peu arrivé... je ne sais même plus trop.


Ready For The House, ou bien n'importe quel album (parmi la quarantaine qu'il a autoproduit) qui constituera pour vous un premier contact avec le bonhomme, fait partie de ces expériences qu'on ne peut vraiment appréhender. Un énorme choc qui laisse le cul par terre – pour cela seulement il mériterait la note maximale – et en même temps une totale aberration – donc candidat à la pire des notes. Alors quoi ? On tranche au milieu. Faute de mieux.


PS : Ceci étant dit, il me faut faire pénitence car je suis mauvaise langue : il y a bien un morceau là-dedans qui contient ce qui ressemble à des accords, voire à une mélodie. Le tout dernier. Mais alors même que c'est de très loin le plus audible de l'ensemble, il est intitulé « European Jewel (Incomplete) ». Sans déc' Jandek. Incomplète ? La seule presqu'oasis de ce charnier ? Allez comprendre... le Diable n'avait sans doute pas fini d'y apposer sa patte.


Chronique provenant de XSilence

Créée

le 22 sept. 2015

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T. Wazoo

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