Cela n'a rien d'un scoop : les Stooges ne révolutionneront plus le rock & roll. Personne ne leur en tiendra rigueur de toute façon, vu qu'ils l'ont déjà fait avec deux albums et que rares sont les groupes à pouvoir en dire autant...
Plus grave en revanche, les écouter n'a plus la même connotation qu'autrefois. Ça n'a d'ailleurs plus aucune connotation... Écouter les Stooges aujourd'hui fait de vous un type banal, ayant le minimum de culture rock requis et faisant preuve d'un peu de bon goût. Point. En aucun cas cela ne révèle un parti prit esthétique déviant. Ils ont finit par rejoindre le même panthéon que Led Zep et Pink Floyd et c'est ce qui pouvait leur arriver de pire. Mais comment peut-il en être autrement quand Iggy fricote avec Houllebecq, qu'il reprend du Aznavour et du Brassens ou qu'il fait le mariole dans des pubs pour SFR ou les Galeries Lafayette ? Et le plus grave c'est que tout le monde laisse couler.
Après que Ron Asheton a clamsé, l'Ig' a été déterrer James Williamson de sa maison de repos pour continuer de se produire sous l’appellation Stooges. Mais des Stooges il ne reste que des miettes, celles de leur propre légende dont ils font fructifier la relique sans vergogne, comme tant d'autres. Ils sont petit à petit devenus l'archétype de ces reformations gênantes qui nous polluent la vie depuis plus d'une décennie. Tous ces groupes qui se nourrissent de la soupe de leur propres glaviots et qui revendent du mythe au rabais aux chalands désireux de connaître le grand frisson dans la plus entière sécurité. Bon OK, chacun ses problèmes, faut bien grailler, et faire des concerts où l'on joue ses vieilles chansons, que l'on a écrit quand on était encore puceau, reste le meilleur moyen de ne pas se faire chier au mouroir. Je ne blâme personne mais c'est à cause de tout cela qu'il ne peut plus y avoir de mouvement porteur (à défaut d'être fédérateur) et d'importance (à défaut d'être révolutionnaire) dans le rock. Pas qu'une question de poids du passé ou de l'impossibilité de trouver de nouvelles formules magiques pour faire jouir les amplis comme personne auparavant. Non, non. Juste que vous ne pouvez plus vous pointer avec vos potes, prétendre être une génération spontanée (nulle ne l'a jamais été), que vous allez tout brûler et que l'avenir c'est vous désormais, sans que vous ne soyez momifier sur le champ par notre grand cerveau commun appelé l'Internet. Il ne peut plus y avoir de sous-culture qui se construit au fil du temps, par bricolage comme dirait Levi-Strauss, au rythme des sorties d'albums majeurs, de tournée formatrices, de changements de looks cruciaux, d'histoires de dopes ou de cul destructrices, d'articles de presse pamphlétaires et de coups marketing polémiques. Alors oui c'est cool, on peut découvrir des micro-scènes dans des coins paumés à l'autre bout du monde, suivre leur évolution en direct et espérer pouvoir voir ses groupes en concert prés de chez soi un jour ou l'autre, mais il n'y aura plus jamais de mouvement qui explosera à la face du Monde avec autant de brio que le plus beau cumshot de Nacho Vidal...
Non seulement il ne peut plus y avoir de mythologie qui se construise toute seule, parce que tout se sait tout de suite et que donc elle se désagrégerai avant même d'être née, mais qui plus est il n'y aura bientôt plus de mythologies à détruire, auxquelles se substituer, puisque les garants de celles-ci s'en chargent eux mêmes. A force de vouloir préserver leur glorieux passé, à force de refuser de céder la place, ils ne se retrouvent qu'à jouer les taxidermistes. La muséisation du rock c'est de leur faute ! Et du jeu de dupes qu'ils n'ont que trop fait durer. Le rock est devenu une sorte de serpent qui se mord la queue. Et parce qu'il semble figé dans cette position pour l’éternité, les plus nigauds d'entre nous lui voue un culte sacré. Alors que le rock n'a jamais été qu'un gros tas de conneries à ne pas prendre au sérieux. Il est bien trop vital pour ça.
Mais revenons aux Stooges, l'exemple parfait de ce que je suis en train de dire. "Prêt à mourir" nous lance-t-ils ce coup-ci (Biggie Small avait fait la même sauf que lui est vraiment mort brutalement après), n'est ce pas ce qu'ils ont toujours été ? Le roi Iguane arbore une ceinture de dynamite pour illustrer le propos. Espérons que c'est dans le bureau du graphiste de la maison de disque qu'il compte tout faire péter, parce qu'en termes d'impact visuel cette pochette fait bien pale figure en comparaison du reste de la disco de nos larbins.
Bon. C'est le deuxième album depuis la reformation - puisque l'excellent "Skull Ring" appartient à la carrière solo d'Iggy - et il semble tout autant acclamé par la critique que le précédent, "The Weirdness", ne le fut en son temps mais que personne n'a dû écouter plus de deux fois cependant...
Ils n'ont pas gardé Steve Albini à la prod. Cool. Du coup "Ready To Die" sonne comme une demo plutôt que comme un live dans une usine désaffectée. Sur "The Weirdness" Albini avait fait ce qu'il avait pu, c'est à dire du Steve Albini. Certains osaient pointés d'un doigt accusateur l'incompatibilité des deux entités. Personne, en revanche, ne voulait reconnaître que si le disque était nul c’était aussi la faute aux Stooges eux même, qui apparaissaient déjà bien fatigués, Iggy excepté. Ici, même lui ne semble plus en si grande forme. Ou alors en a-t-il tout simplement rien à branler. Surtout quand il semble qu'il déteste vraiment James Williamson. Alors même que les raisons de la réussite de "Raw Power" et, dans une moindre mesure, de "Kill City" étaient dû à l'entente entre les deux Jim, dans un bon gros ego-trip à la Jagger/Richards. Voici qu'ils essayent de réitérer la formule, sans grande conviction. Il n'y a qu'à se pencher sur les morceaux acoustiques ("Unfriendly world", "Beat that guy" et "The Departed"), de vrais faux-blues tout pourris qui ne ressemble à rien. Le reste du temps le groupe essaye de sonner abrasif, mais seulement parce que c'est ce qu'on attend d'eux. La voix d'Iggy sonne trop forcée, quand il s'y met vraiment. Williamson reste très bon guitariste mais on a constamment l'impression qu'il joue assis. C'est gênant. Même pas un riff qui vous imprime le tympan. Même le sax de Steve McKay fait bailler...
Il semblerait qu'artistiquement ils n'aient pas grand chose à dire de plus. Ça se sentait sur "The Weirdness" c'est encore plus flagrant ici.
Et ne venez pas douter de mon amour pour les Stooges. C'est un des groupes les plus importants dans mon développement personnel. La découverte de "Raw Power" à 17 ans m'a foutu une telle claque que c'est là que j'ai su, que j'ai compris, que j'ai décidé de suivre telle direction plutôt que telle autre. Et "Funhouse" reste un de mes disques préférés de tous les temps (oui... comme Phiphi Manœuvre, je sais, c'est la honte !) dans lequel je découvre encore des trucs qui me chamboulent le cervelet. Force est de reconnaître qu'à coté de tout ça "Ready To Die" a un goût de beurre rance.
Honnêtement je me demande qui peut être séduit par cet album. Les adorateurs des Stooges proto-punk, qui les aiment raw et fun, qui les apprécient pour leur folie subversive d'antan, n'y trouveront assurément pas leur compte et préféreront écouter n'importe lequel de leur nombreux héritiers actuels parce qu'en toute logique ils n'ont rien à foutre du respect aveugle dû aux légendes, qu'elles soient mortes ou vives. Les amateurs des Stooges canonisés, pour qui "I Wanna Be Your Dog" est une chanson trop cool et Iggy un chic type, ne trouveront pas plus leur compte puisque le disque ne contient aucun tube digne de ce nom et a une prod trop bâclée pour que ça fasse vibrer les basses de leur autoradio. Il n'y a donc pas grand chose à tirer de ce disque que tout le monde aura oublié dans quelques mois de toute façon. Dire le contraire serait mentir.
Merci pour la carte de visite de la prochaine tournée, mais pour ce qui est d'un grand album on repassera. Tristesse, tristesse...
C'est là un de ces disques typiques d'une vieillesse narcissique qui n'assume pas ses rides, qui refuse d'abdiquer face à l'écueil du temps, parce qu'elle a vécu une époque supposément bénie, que les plus jeunes lui envie. Si tout le monde se pose la question de savoir si l'on peut vieillir dans le rock, alors que la réponse est évidemment oui, il paraît de plus en plus évident que la véritable question qu'il faut se poser est : peut-on bien vieillir dans le rock ? Pour le moment les éléments à notre disposition permette d'en douter.