Je ne me souviens plus comment j’y suis arrivé, mais ce jour là, j’étais bien au Stade de France. Sur la pelouse, devant la scène, m’amusant de la foule gueulant au moindre technicien sur la scène. Mais malgré ce sentiment familier, je ne pouvais m’empêcher de trouver quelque chose de spécial ce soir là. Pas que mon excitation était à son comble, quoi que celle des autres fût palpable, mais un sentiment étrange venait se déposer sur nous avec la même douceur que la lumière du soir.
En fait, si je n’arrivais pas à mettre le doigt sur ce qui n’allait pas ce soir là, c’est tout simplement que j’ignorais le groupe qui allait jouer. Ce concert commence à avoir des relents d’amnésie. Autour de moi, je ne reconnais personne. Dans mes poches, un ticket de caisse pour une bière hors de prix et mon porte-feuille. Aucune trace d’un billet quelconque. La façon même dont j’étais rentré dans la salle était un mystère.
Mais tout ça n’était pas ce qui me préoccupait le plus. Un regard vers la foule qui m’entourait suffît à éveiller mes sens. Dans un espoir de découvrir l’événement qui allait se produire ce soir, j’essayais d’analyser les spectateurs. Elle était clairement séparée en deux. Les couleurs jouaient entre elles pour un résultat saisissant : le rouge des yeux des uns rappelaient le rouge des t-shirts des autres, tandis que le vert produisant de la fumée contrastait avec le jaune versé dans des gobelets en plastique.
Je m’avance vers la première personne devant moi :
-Excuse moi, tu sais quel groupe joue ce soir ?
-Tout de suite ? Il y a Slayer qui va arriver
Il ne peut réprimander un petit rire devant mon air de surprise.
-Tu sais pas qui joue ce soir ? Original… T’es même pas au courant de la résurrection ?
Devant mon silence de soumission, son bras me prend par l’épaule, tandis qu’il me montre toute l’étendue du public. Le stade de France avait effectivement été agrandi, et la foule déjà bien compacte était en réalité bien plus imposante que ce que j’avais imaginé.
-Bob Marley ! Il fête son retour parmi les vivants avec un concert, et il a demandé à Slayer de faire sa première partie
Et alors que j’observais les gens, tout était maintenant clair. Les metalheads se mêlaient aux rastas dans une harmonie communicative. Tout ce monde était prêt à exploser, mais seulement à cause de l’excitation de voir le plus grand concert pacifiste depuis Woodstock 69.
Puis arriva Slayer. La foule était en ébullition, le massacre pouvait commencer. Pendant un instant, je pensais à tous ces fans de Marley qui ne retrouveront probablement jamais la raison après avoir vu un tel spectacle. Mais à partir du moment où les premières notes de Raining Blood retentirent, la folie pouvait commencer. Tout le monde fût pris de pulsions meurtrières, et les deux camps que formait le public n’étaient plus. Chacun était prisonnier de ses propres envies. Et alors que la pluie de sang peignait le stade en rouge, mon visage horrifié traduisait mon dégoût : Slayer avait mis fin à l’espoir de paix qu’avait amené le retour d’un des musiciens les plus adulés de tous les temps. Mais alors que je constatais la violence de mon entourage, j’arrêtais de lutter et cédais à la destruction.
Le paysage devint magnifique.
Même s’il a bien fallu se réveiller.