Le genre progressif a toujours été à part pour moi. Beaucoup d’albums revendiqués de ce genre m’ont énormément plu. Je me suis même laissé aller à quelques clichés et préjugés du genre « il faut qu’une musique fasse plus de dix minutes pour vraiment rentrer dedans » ou alors « Pas de concept, on part avec -1 sur la note ».
Après avoir retourné quelques albums de Dream Theater plus d’une centaine de fois, en passant par Gojira, Opeth et j’en passe, j’avais repoussé au maximum l’écoute de Pain of Salvation et je ne sais pas vraiment pourquoi, car je regrette amplement maintenant. Mais ce n’est plus très important.
Au premier regard, sans écouter, ce groupe m’apparaissait plutôt brutal dans son style mais que nenni. Quand j’ai écouté Remedy Lane, j’ai eu une sensation, un feeling étrange qui n’apparaît que quand le « style » de musique adopté me semble nouveau, tel une renaissance dans ma culture musicale. Ce feeling ne signale pas forcément l’apparition d’un album qui marquera ma vie mais généralement, il m’offre de très bons retours. La première fois que j’ai eu ce déclic, c’était en écoutant Metropolis part 2 de Dream Theater.
Et justement, ce Remedy Lane m’a rappelé ce dernier. Au niveau musical mais aussi au niveau de la structure. Présence de clavier, batterie à la Portnoy, chant très expressif et une guitare mélodieuse mais parfois fracassante. Cet album contient beaucoup de variétés musicales, il y en a pour tous les goûts. Grand public certes mais n’en est pas moins intéressant.
Remedy Lane est un concept album, touchant plusieurs thèmes : relations entre les hommes et les femmes, de la crise dans les relations, fonctionnement de l’être humain, l’amour, la recherche de soi.
Monsieur Daniel Gildenlöw, chanteur et guitariste a composé toutes les chansons. Il faut savoir que « Remedy Lane » soit « chemin de la guérison » et un jeu de mot avec l’expression « Memory Lane » (chemin du souvenir). Cela signifie que Gildenlöw est revenu sur une histoire personnelle, nostalgique mais aussi qu’il s’est servi de la composition de cet album pour affronter son passé. On y retrouve donc une certaine mélancolie, notamment dans le titre Dryad of the Woods, qui est une instrumental mais des paroles apparaissent dans le livre sur l’album, sous forme de poème. Ce morceau est une sorte de quête vers le pardon. Gildenlöw cherche à comprendre le sens du pardon, à ne pas perdre l’amour pour une fille nommée « Dryad of the Woods ». Il explique que le pardon peut parfois changer beaucoup de choses, il peut parfois rassurer et nous ramener vers le « Remedy Lane » soit le chemin de la guérison et parfois, il peut nous blesser, comme si on abusait de nous même.
Au delà des balades mélancoliques, il y a également des morceaux plus dynamiques et progressifs qui m’ont rappelé justement Dream Theater. Citons Of Two Beginnings, racontant brièvement la relation entre une fille de douze ans et un garçon de dix. L’innocence d’un enfant est un thème abordé ainsi que la liberté. La liberté n’est-elle qu’un état d’esprit ? Se sentir libre n’est-il pas qu’un sentiment d’émancipation éprouvé mentalement mais ne rentrant pas réellement dans les contextes de la vie, telle une illusion ? C’est ce que ce demande Gildenlöw. Le morceau envoie bien, commençant par un chant calme et posé, se transformant brutalement en hurlements, les instruments se déchaînent.
Dans le même genre, nous retrouvons Ending Theme qui représente la première étape du chemin de la guérison. La relation avec la jeune fille chamboule la vie du narrateur, laissant un puissant sentiment. Il essaye de s’en débarrasser mais ne sait pas comment. Cette chanson est un long questionnement. L’incompréhension du narrateur est très présente « To be honest, I don’t know what I’m looking for ». On y retrouve également un lieu, la ville de Budapest. Déjà évoquée dans Of Two Beginnings, on y retrouve des indications géographiques précises (Deàk Tér) ou des événements (Szigest fest). Il demande à une princesse hongroise (sûrement la fille décrite depuis le début) de rester avec lui, de partager un long sommeil avec lui. De rester jusqu’au « Ending Theme ». Le narrateur raconte son passé avec la fille, le premier baiser ainsi que son incompréhension appuyée par des « I don’t know », « I just don’t know ». Il n’arrive pas à se détacher d’elle.
Toujours dans le genre dynamique et progressif, Trace of Blood m’a fait une grande impression. Sûrement un de mes morceaux préféré de l’album. Sûrement celui avec les paroles qui m’ont le plus touché. Avant de s’attaquer aux paroles, je voulais revenir sur le titre Fadango. Après l’incompréhension, le narrateur se rend compte qu’il ne doit plus hésiter. Que la volonté et l’amour lui donneront la force, qu’il comprendra le sens du pardon. Fadango, c’est l’union entre le narrateur et la femme. Le narrateur se rend compte qu’il a toujours voulu cela mais qu’il avait peur de ses désirs. Que cette femme n’était qu’un objet devenant toujours plus imposant au fur et à mesure que ses désirs d’homme grandissaient. Il décrit l’acte en imaginant une danse, entre deux enfants sauvages et avides. Le titre met en avant une guitare acoustique, un clavier répétitif et un chant se calant sur ce dernier. La basse est également bien présente.
Pour revenir à la suite, Trace of Blood, leur union donna un enfant. Gildenlöw revient vers sa famille, avec cette femme maintenant enceinte. Malheureusement, leur relation se dégrade, le narrateur n’arrive plus à parler avec elle, comme s’il avait une trace de sang dans la bouche. Il parle de trois âmes dans le malheur (Lui, la femme et l’enfant). Il décrit ensuite une scène, chez un docteur. « The doctors stay away, Leave us with this dismay, To see the colors of a miracle, Fade and turn to gray » On peut voir la baisse progressive de l’espoir. En effet, quelque chose est arrivé à l’enfant. Ce phénomène, la mortinatalité explique l’expulsion d’un fœtus après vingt-deux semaines de gestation. Après ce phénomène, Gildenlöw ne parle plus de trois, mais de deux âmes dans le malheur. (Lui et la femme)
Il se questionne sur l’amour. Ne connaissant même pas le nom de son enfant, il explique que la perte d’un être qu’il ne connaissait pas encore a provoqué l’annihilation de sa volonté de vivre. Il devait vivre pour l’enfant mais il n’en sera rien. La trace de sang « Trace of Blood » représente la seule vision qu’il eut de son enfant. C’est à dire l’unique tâche de sang sur le lit d’hôpital. Il parle de suivre cette trace, c’est à dire mourir tout comme son enfant. La chanson est rageuse, un chant criant, des gros solos, on y ressent la colère et le profond désespoir.
La prochaine chanson, This Heart of Mine. Une autre balade, même si elle a droit à son petit moment dynamique. Le narrateur est dépressif et se rattache à la seule chose qu’il aime dans ce monde, son coeur, sa femme. Une femme vieillissante mais Gildenlöw se fout de tout ça, tant qu’elle est avec lui. On voit sa volonté à soutenir sa femme jusqu’à sa mort, d’où la répétition de « ‘Till I die ».
Undertow. Le narrateur commence à devenir fou, son désir de liberté, de s’échapper prend contrôle de lui. Une répétition de « Laisse moi partir », « Laisse moi voler », « Laisse moi m’enfuir », « Laisse moi saigner » et d’autres jusqu’au « Laisse moi mourir ». Un fort sentiment sombre émane du chant et du clavier, renforçant ce même côté.
Rope Ends, une autre de mes préférées. Cette fois parlant totalement de la femme. Cette dernière se délie de Gildenlöw et essaye de s’attacher à une autre personne, nommée dans la chanson « Winnie the pooh ». Son sentiment de tout arrêter et de mettre fin à sa vie se caractérise par les « Over ! » répétés. Son âme devient de plus en plus trouble, jusqu’à atteindre un stade de mort intérieure, psychologique où seul l’entité physique existe. Le chant est haut et très mélodieux.
Chain Sling, encore très réussi musicalement parlant. L’acoustique et le chant variant sont parfaitement mêlés. Chronologiquement, c’est la dernière phase de l’histoire. Le narrateur veut revenir vers cette femme. Cette dernière dit que c’est trop tard mais Gildenlöw arrive à la convaincre : « I am so, so sorry but if you love me you must let go »
Le narrateur revient vers cette « danse » entre les deux êtres mais dans un sens différent. Cette danse explique toutes les épreuves que ces deux personnes ont franchi, que malgré toute cette douleur, ils ont réussi à marcher sur ce « Remedy Lane ». La fin raconte que ces deux entités sont complémentaires et ne peuvent être séparées après toutes ces tragédies.
Remedy Lane, chanson qui a donc donné le titre de l’album ou l’inverse. Sûrement la chanson que j’aime le moins sur cet album, une instrumental electro que je n’aime pas tant que ça. Le livre sur l’album contient aussi des paroles sous forme de poème comme pour Dryad of the Woods. Elles racontent simplement que tomber amoureux comme l’a fait le narrateur est dangereux, qu’il aurait préféré ne pas se contrôler, pouvoir tomber amoureux d’une autre personne ou même d’une chose. Il parle d’une ville, du rire et même de sa personne.
Waking Every God prend place après le doute d’Undertow. Racontant l’attraction envers une femme, toujours dans la ville de Budapest. Cette attraction et ce sentiment d’être désiré le rend fort, entier. Il parle même de quelqu’un qui n’est pas vraiment et de Dieu. La chanson en elle-même est sympathique mais ce n’est pas ma préférée.
Petite anecdote sympathique sur Second Love, Gildenlöw l’a écrit quand il avait seulement quinze ans. C’est une balade acoustique et une de mes favorites. Le narrateur ne dort plus après la rupture avec cette femme. Il a peur de s’endormir, car il sait que cette femme hantera tous ses rêves. Il parle de cette période où il se sentait fort qui est maintenant révolue, qu'il n’est plus que l’ombre de lui même. Plusieurs années passent, sa douleur est toujours présente et il éprouve toujours l’espoir de la retrouver : « Day after day I want you to say, That you're mine, You are mine »
Le dernier morceau, Beyond the Pale avec cette ligne de basse qui te hante sur vingt générations. Sûrement le morceau que j’attendais, agressif, brutal, lourd, c’est la parfaite conclusion. Gildenlöw remet son passé en ordre, en passant par le sexe (où il commençait à avoir des désirs à partir de huit ans), puis l’amour. Il s’imaginait la femme parfaite, inatteignable. Son passé se remet en ordre : la rencontre, l’amour entre eux, s’installer ensemble, la femme tombe enceinte, elle perd l’enfant, la femme perd le contrôle et couche avec un autre homme, le narrateur s’enfuit et laisse la femme seule dans son combat à cause de cette chose impardonnable.
La ville de Budapest qui représente un paradoxe : « Budapest I'm learning / Budapest you're burning me »
Le narrateur est perdu, ne sait plus comment faire, il se sent vide. Il pense que ce « Remedy Lane », c’est laisser passer le temps sans prendre la peine d’y faire attention.
D’un côté, il était attiré par les femmes, souhaitait les « chasser » et d’un autre côté, il trouvait ça irrespectueux. Sa colère représente en partie son besoin sexuel.
« I’m beyond the pale » signifie qu’il n’y a plus de guérison possible. Que ce « Remedy Lane » n’existe pas et qu’il va devoir vivre avec ses douleurs et ses questions toute sa vie, et avancer avec.
Remedy Lane est un album très personnel, mûr, ce qui fait sa force. En plus de cette histoire, Gildenlöw nous offre une performance musicale remarquable. Gildenlöw pense que la voie de la guérison n’existe pas, mais c’est son propre album qui en est l’équivalent.