Je me suis toujours interrogé sur la véracité des interprétations des shonen. Et cela ne me réussissait pas. Le héros obtenait toujours ce qu'il voulait, de la façon la plus improbable qui soit. Je me questionnais sur l'authenticité de ses actions, mais je laissais vite tomber en me disant : " Ce n'est qu'un manga après tout, ce n'est pas grave si cela ne colle pas à la réalité. " Oui, au fond j'étais gêné par la facilité dont faisait preuve l'auteur pour permettre à son héros d'accomplir ses rêves. Je trouvais ça si facile, modulable à volonté tant que cela respectait l'univers du manga. Les réussites répétées du héros dans sa vie de protagoniste standard d'un shonen standard. Restant toujours dans la ligne de codes pré-faite du shonen, afin de s'assurer une certaine audience. N'était-ce pas gênant pour vous aussi ? Voir autant d'accessibilité, d'aisance... Le genre shonen n'a jamais vraiment eu besoin d'expliquer les actes irréalistes de ses personnages. Car pour eux, cela faisait partie intégrante du genre. Des exemples ? Tout le monde se rappelle du pouvoir de l'amitié, une des solutions apportant une " justification " plus que douteuse à la montée en puissance du héros, à son gain de maturité. Au fond de nous, ça nous gênait mais après tout, ce n'est qu'un manga n'est ce pas ?
Punpun est un seinen apportant un regard réaliste sur notre monde. Qualifions le même " d'anti-manga ". Car oui, l'objectif d'un manga est de montrer l'ascension effrénée de son héros, parcourant un long et sinueux chemin pour parvenir à ses fins. Ce n'est pas l'objet ici. Nous assistons à la décadence, à la régression des personnages. C'est sur ce point que Bonne nuit Punpun est intéressant. Il se détache de l'oeuvre mainstream pour apporter un regard compréhensif sur le monde.
Chacun des personnages échoue dans sa quête d'émancipation. Cette émancipation se traduit d'abord à travers le regard d'enfant de Punpun, pendant les deux premiers volumes. Un regard septique, hésitant sur la vie. À travers ce regard enfantin et inadapté à la vision de la société, nous, lecteurs, sommes témoins de la folie, de l'absurdité des comportements des habitants de cette même société. Un regard critique sur la société aliénée du Japon. Passant par l'attitude saugrenue des fonctionnaires, des travailleurs. Mais l'innocence de Punpun n'apporte aucune justification à cet état. Il ne le comprend pas lui-même. Et nous, lecteurs, sommes au coeur de la conscience de Punpun.
Le lecteur est témoin du fanatisme des adultes pendant que Punpun reste neutre à ces réactions. Le lecteur se questionne, et Punpun fait de même. La lecteur va s'ancrer dans un malaise, un mal-être pendant cette lecture. L'histoire avance, les ellipses se multiplient et Punpun commence à avoir un regard plus adulte sur ce monde. Ce brusque changement trouble même le lecteur. Punpun fuit dorénavant son intégration et se rattache aux bons souvenirs de son enfance crédule, à travers une histoire romantique dérangeante, abrupte.
Punpun grandit au fil des tomes et change d'expression. Caricaturé par des formes quelconques, nous restons dans l'incompréhension totale. Et c'est cela qui est bien, nous avançons dans notre lecture, nous ne savons pas ce qu'il adviendra de Punpun. Contrairement à la prévisibilité des mangas mainstream, nous restons dans la méconnaissance la plus totale. Cette ambiance dérangeante nous installe au coeur de l'histoire.
Les changements de Punpun, passant à l'âge adulte deviennent de plus en plus mal amenés, renforçant notre manque de connaissance. Le lecteur a besoin de comprendre, de connaître les raisons. Mais le lecteur est naïf.
La vision de Punpun change tellement, que c'est finalement le lecteur qui reste dans l'incompréhension. Au début, nous étions témoins de la folie du monde extérieur. Mais maintenant, nous sommes inconnus, nous ne connaissons rien à ce monde. Le regard de Punpun, censé nous guider ne fait que renforcer notre manque.
Et finalement, le lecteur ne suit plus. Il ne comprend plus le déroulement de l'histoire. Et c'était sûrement le but de l'auteur : Faire progresser le lecteur dans le noir complet. À travers les délires métaphysiques de certains personnages et de la dépression de Punpun, le lecteur est perdu, pour la première fois. Il ne sait plus à quoi se raccrocher pendant les phases de dialogues des membres d'une secte ou les questions répétées de Punpun.
Il comprend finalement qu'il assiste à l'échec de tous les personnages. Le poids du passé qui pèse sur les personnages : Le rêve d'Aiko, de Punpun, de Seki... Les personnages comme Pégase sont là pour montrer qu'il existe un but, qu'il a confiance en l'humanité et son ressaisissement. Mais le poids émotionnel de chaque personnages est fort. Shimizu qui voit encore sa défunte mère, Punpun qui s'évanouit en pensant au passé, Seki qui n'a plus de but...
Mais Punpun est heureux, il retrouve Aiko. Mais Aiko a changé. Elle n'est pas celle que Punpun veut. Laissant place au tourment du jeune homme. Nous faisant comprendre que la seule ligne directrice du manga (Les retrouvailles avec Aiko) était erronée. S'en suivit la théorie de la fin du monde, nous montrant qu'il ne reste plus que la mort.
Le monde laisse place à une pluie battante et à l'éradication des points noirs. L'introspection de Punpun amène finalement à la réflexion : Pendant cette transition à l'âge adulte, quel est l'élément déclencheur du malaise de Punpun ? Nous imaginons tous les problèmes rencontrés par Punpun. Nous pensons alors à une cumulation de choses, un enchevêtrement de problèmes amenant au tourment.
Nous le pensons jusqu'à la dernière scène, où nous revoyons le meilleur ami de Punpun, qui, après une brève discussion, ne se rappelle pas de son nom. Serait-ce la preuve que Punpun a " trop " changé ? Je pense que oui. Les réflexions de Punpun devenaient de plus en plus lointaines, ses voeux de souffrance étaient quelque peu compliqués pour le lecteur.
Mais le lecteur sourit finalement quand il vit Punpun à la dernière scène. Témoignant de son air serein. Une forme d'optimisme ? De réalité ? Quel est le message final de cette oeuvre ? Harumi dit qu'il ne reverra sans doute plus Punpun, comme si la vie suivra son cours, qu'importe le passé. Il faut aller de l'avant. Malgré les propos extrêmes d'Asano pour décrire la crise d'adolescence, nous rangeons finalement le volume, qu'importe les doutes qui nous habitent...
Alors, bonne nuit Punpun.