J'aime bien Renaud, vraiment. Avec ses coups de gueule, ses peines et son humour à la langue bien pendue, Renaud m'a parlé, comme à beaucoup, et, souvent, il m'a ému, comme tant d'autres. Homme honnête chantant mal mais avec du cœur, visage d'une époque musicale dont il incarnait les françaises révoltes, ce bon vieux pote nous a offert des morceaux d'anthologie dans une discographie noble et cohérente, jusqu'à un certain point : il a toujours été facile d'aimer Renaud.
Hélas, il est moins facile d'aimer cet album, à propos duquel une question s'impose ici : à quoi bon ? Non pas : pourquoi nous infliger ça ? mais plutôt : pourquoi l'avoir conçu ? La réponse ne tient peut-être que du droit de vouloir chanter, de l'envie de revenir au devant de la scène. C'est légitime, et compréhensible. Mais selon moi, un album de chansons doit évoquer autre chose qu'un sentiment de familiarité avec une icône, et c'est là toute l'énigme de l'artiste qui l'offre ou le convoque.
Cet album est assez vide ; ces chansons, des milliers de chanteurs auraient pu les écrire - musicalement quelconques, textuellement simplistes (pas fondamentalement mauvaises, non - Dylan et Mulholland Drive sont même plutôt réussies). Si Renaud raconte des histoires comme il l'a toujours fait, il raconte ces dernières comme Marc Levy écrit des romans.
L'album ne mérite peut-être pas un franc déglingage, mais il ne mérite pas d'éloges. Les médias l'ont reçu comme il a été réalisé : à la façon putassière de l'art pour l'art, les médias ont fait les médias comme Renaud a fait du Renaud, pour faire du Renaud. La machine est bien huilée, tout cela est très logique ; reste que l'album n'est qu'une image, celle de Renaud moutonnant dans la bergerie audiovisuelle qui porte son nom. Et quelque part, on sent, dans toutes les interventions promotionnelles du chanteur que c'est là son but. Remettre du carburant dans la voiture du succès, sur le toit de laquelle sa tête joue au gyrophare.
Tout cela est humain, bien sûr. Je charrie l'artiste en vain, dans l'espace amusé de cette critique sans écho. J'aime bien Renaud, et c'est tant mieux si ça roule pour lui. Après tout, l'anti-mouton moutonne avec des pneus ! Et il chante, le célèbre, face à ce berger-miroir, que surplombe, en lettres capitales, le message "écris ton autobiographie".
Pardon ? C'est déjà fait ? Pas grave, je l'aurais dit quand même. Cela fait tellement sens.