C'est sans doute l'air du temps. Il y a eu Human after All, l'album electroautiste de Daft Punk. Puis Portrait-robot, l'album rétro raté de Bertrand Burgalat. Puis La Possibilité d'une île, où l'ancien chanteur en mal d'affection Michel Houellebecq questionne les limites de l'humanité. Il y a maintenant Robots après tout, le septième album de Katerine, qui fait entrevoir la probabilité d'une idylle longue et passionnée. Entre Daft Punk et Houellebecq, il y a donc Katerine, auteur groovy désenchanté qui, entre les lignes, entre les beats, chante le grain de sable, ou le bout de peau de cochon, au cœur de l'existence administrative, comptable, normative, d'un Parisien ordinaire. Robots après tout. Mais après quoi ? Après le 8ème Ciel, forcément déchu, voire déçu ? Après la Peau de cochon, le cœur à vif, toujours trop sensible, en sursis ?
Il y a quelques années, Katerine annonçait sa mort pour le 8 décembre 2008, jour de son quarantième anniversaire. Mais aujourd'hui, coiffé comme un enfant de 2 ans dont les fins cheveux n'ont encore jamais connu le supplice rituel du ciseau, habillé comme une petite fille à son cours de danse, Katerine renaît en Candide punk, en idiot du vil âge. Le bien-chanter, le bien-jouer, c'est bien fini. Musicalement, Katerine semble s'en foutre un peu. Son disque sonne comme un produit de consommation courante, un peu disco, un peu cheap, facile d'accès. C'est fonctionnel, c'est rigolo, les kids vont adorer. Et puis les kids vont flipper. Car Robots après tout est un plongeon sans filet dans les obsessions récurrentes, familières mais toujours inquiétantes, de Katerine : les gens, les chiffres, les lieux, le sentiment de solitude au milieu des autres, la paranoïa, la mort, le monde moderne et les tracas qu'il génère. Robots après tout est une digression burlesque et grinçante, une errance ultralucide et ludique dans des rues mal éclairées. Son humour est noir, ses névroses sont roses, il a rêvé au futur antérieur de couleurs incroyables, innommables, on en parlait comme des dieux il n'y aura pas d'autres dieux. Dans la rue, on s'embrasserait, ce serait comme si on se connaissait (2008). La possibilité d'une île, vraiment.(Inrocks)
Cette robotique-là, funky et extravertie, n’est pas vraiment identique à celle promulguée par Bertrand Burgalat juste avant la trêve estivale. Mais elle pourrait relever d’un même principe d’inquiétude, malgré une loufoquerie et un grotesque plus agressifs que jamais. Philippe Katerine s’inclut sûrement parmi ses robots. En compositeur attiré et épanoui par les sonorités synthétiques (on peut travailler à la maison et le coût est moindre) ou en chanteur flippé par un sentiment d’instrumentalisation fort mécanique (disque, tournée, beuverie, disque, tournée, beuverie…), d’où ne semble se dégager aucun horizon radieux (commercial, affectif…) ? Car il aura beau travailler une electro mongoloïde, échafaudée en solitaire, puis fignolée par Renaud Létang et Gonzales, comme pour associer Martin Rev à Dorothée (Allô, Allô Monsieur L’Ordinateur, même lui s’en souvient), le Vendéen délivre avec cet album malade l’image d’un auteur dont les tourments s’avèrent particulièrement violents. Son usage d’un humour régressif ou émouvant prend davantage les allures des jappements d’un type aux yeux exorbités, dont on ne veut absolument pas croiser le regard dans le métro. Katerine tente peut-être de venir à bout de ses peurs avec ses moyens de chanteur gauche et amusant : diarrhée verbale, infantilisme ou impudeur plus réfléchie. Réunis, ils finissent souvent par donner de l’ampleur à son écriture, comme ce fut le cas avec son film Peau De Cochon, sorti en début d’année. Il y a bien quelques répétitions, et le concept tourne parfois dans le vide, mais il faut accepter que la scorie soit partie intégrante d’une entreprise aussi accidentée, et beaucoup moins frivole qu’on ne le pense.(Magic)
« Excuse-moi, j’ai éjaculé dans tes cheveux à un moment inadéquat. Je ne croyais pas que ça partirait mais quand tu fais des trucs comme ça, je ne peux pas m’en empêcher. Pourtant j’essayais de penser à autre chose : à une chaise (…), à ma grand-mère (…), à cet homme qui me réclamait de l’argent en République Dominicaine et moi qui faisais semblant de ne rien voir et qui dansait en maillot de bain dans la rue parce que j’étais bourré… »Peu nombreux sont ceux qui peuvent se permettre ce genre de dérives textuelles. Philippe Katerine est de ceux là, doux dingue qui raconte ses anecdotes en chansons, faisant de son quotidien un ensemble de situations improbables, incroyables, déroutantes et pittoresques. Il déclarait d’ailleurs lui-même : « Je fais de ma vie un chef-d’œuvre que l’on visite pour cent francs, tous les deux ou trois ans ».Le voici dans ce "Robot après tout", partagé entre le monde de la nuit pailletée (100% VIP, Louxor d’adore) et ce train-train (de 19h ?) qui rend parfois fou (Borderline ou Patati Patata !), le tout sur beats très eighties signés par Renaud Letang et l’inévitable Gonzales, donnant à la musique des ambiances qui ne sont pas sans rappeler celles de Goldfrapp, Daft Punk… ou Patrick Juvet. Le point fort de Katerine reste sans aucun doute la pratique de l’absurde, souvent en dessous de la ceinture, interrompant parfois sa chanson pour faire des apartés comme dans une simple conversation entre amis. Il explique ainsi au canadien le conditionnel passé, première forme, du verbe falloir, dans une extravagante chanson où il se fait poursuivre par Marine Le Pen ( Le 20.04.2005).Alors qu’on s’agite bien inutilement autour de Didier Super, lequel manie la dérision avec lourdeur et vulgarité, Katerine vient asséner avec la nonchalance qui sied à ce dandy en sous-pull mauve, un nouvel album au surréalisme ‘poil à gratter’. Un humour qui en déroutera sûrement certains mais comblera les autres sans aucun doute ! (indiepoprock)


Comment parler de Katerine sans tomber dans la banalité ? Et surtout sans répéter ce qu'on a déjà entendu maintes fois. A propos de lui, on aura en effet à peu près tout lu : il est comparé à un dandy-chanteur extraterrestre, à un petit génie de la chanson française, qui évolue loin des normes et des conventions (petit exploit quand on voit quel est son label – encore un stéréotype que de dire ça, sans doute). Le buzz qui a existé autour de la sortie de Robots après tout, en cette rentrée, aura même permis à certains de le comparer à un Houellebecq en manque de reconnaissance. Quelques-uns osent quand même avouer à voix basse, de peur de se faire lyncher par une horde de fans sans doute, que le bonhomme les agace, mais ils sont rares.Jusqu'à il y a peu, je pensais avoir compris l'évolution de la musique de Philippe Katerine. Sa discographie suivait une évolution à peu près linéaire jusqu'à Huitième ciel, où le chanteur nous entraînait à sa suite dans un rêve éveillé, plein de magie et de phantasmes, pour peu qu'on soit consentant. Cet album semblait représenter l'apogée de sa discographie, et à vrai dire, je me demandais ce qu'il pourrait bien nous apporter, désormais. Mais quelle prétention, de prétendre l'avoir compris ! Pourtant, quelques faits auraient dû me mettre la puce à l'oreille. Tout d'abord cette chanson faite avec Helena Noguerra, hymne officieux du championnat d'Europe de foot de 2004, qui sortait complètement de cette ligne musicale que je lui avais attribuée. Ensuite ce concert avec Dominique A à la Cité de la Musique, où il a plus que prouvé qu'il était capable donner une seconde vie à ses chansons. Et voilà, malgré ces avertissements, je me suis tout simplement pris une grosse claque à l'écoute de ce nouvel album. Enfin, plutôt aux écoutes de ce nouvel album. Car la première fois, on peut penser qu'il s'agit d'une suite de chansons délirantes, sur fond électro (notons au passage la très belle performance de Gonzales, à la réalisation ; mon coup de cœur à ce niveau étant sans doute pour “78-2008”), sympathiques et drôles, certes, mais qui pourraient rapidement devenir lassantes. Les textes peuvent sembler futiles et puérils, quand on les prend au premier degré, plein de clichés galvaudés. Juste un exemple, dans une chanson que Richard Gotainer ne renierait sans doute pas :

– Répétez après moi :
– Après moi . Mais il apparaît rapidement qu'il y a plus que ça, que derrière ces paroles frivoles, derrières ces listes de chiffres et de nombres impressionnantes. Ainsi, “20-04-2005”, pour ne citer que cette chanson, est loin d'être un simple pamphlet contre une personne qui représente sans doute tout ce qu'il abhorre. Commençant par un clin d'oeil à l'attention d'une de ses fidélités journalistiques, elle se termine par une digression sur la conjugaison française ; manière pour Katerine de nous faire sentir que prendre une personne, aussi détestable soit-elle, et de lui taper dessus n'est pas une attitude plus intelligente que celle qu'on veut dénoncer. Mais surtout, Katerine réussit à exprimer dans ses textes une réelle détresse de l'être humain, qui souhaite à tout prix être reconnu et trouver sa place dans un groupe, sans y parvenir. Spectateur extérieur dans “le train de 19h”, ou DJ jouant avec les nerfs des danseurs du Louxor, ou encore dans son pétage de plombs égocentrique de “patati patata !”, il semble dresser une frontière invisible, entre lui et les autres, et finalement, entre chacun de nous. Comme quoi, pour faire partie d'un groupe, pour trouver sa place dans une société, il ne suffit pas d'endosser leur uniforme, fut-ce un sous pull en acrylique rose…(liability)

bisca
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le 3 avr. 2022

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