Il était de toute façon impossible de donner suite à Parasite, apogée assez exceptionnel de la carrière de Bong Joon-Ho, combinant succès public et pluie de récompenses les plus prestigieuses à travers le monde. Le voilà donc aux commandes d’un nouveau blockbuster de SF, projet assez cohérent si l’on considère un certain nombre de ses films, où le fantastique et le spectaculaire côtoient des thématiques plus sociales et inquiètes.
Il y a en effet, dans cette satire baroque et beuglante qu’est Mickey 17, des parallèles assez évidents avec le conte écolo qu’était Okja, ou la dystopie de Snowpiercer. La construction d’un univers foisonnant de fiction en écho direct avec les dérives du réel, où de pathétiques fantoches mènent l’humanité à sa perte, en poussant tous les curseurs du capitalisme débridé, du fanatisme religieux et de l’impérialisme dévastateur. Bien entendu, on saluera la dimension visionnaire d’un film écrit en amont du chaos dans lequel nous vivons actuellement – mais, pour être honnête, la saturation terrorisante de l’agent orange dans le monde réel donne tout sauf envie de revoir son pantin dans les salles obscures.
Bong Joon-Ho lorgne donc du côté de Jeunet/Caro et de leur Cité des enfants perdus pour construire son huis clos, insufflant à son désenchantement politique un humour noir (le défilé corrosif des morts successives présentées comme un travail à la chaîne) et un slapstick brutal dans lequel l’ouvrier est une matière première exploitable à volonté.
Mais durant ces scènes, la machine est en réalité déjà grippée par une écriture désastreuse, qui multiplie les techniques pour exposer un univers pourtant assez intelligible. La narration non linéaire associée à une insupportable voix off explicitant tout ce que l’image montre déjà multiplie les lourdeurs et les répétitions.
Le sujet du clonage, déjà largement exploité (voir le Moon de Duncan Jones), permet certes une double performance de Pattinson, elle aussi outrée pour permettre des différences d’incarnation on ne peut plus démonstratives. Les réelles implications un peu profondes (« Qu’est ce que ça fait de mourir ? », lui demande-t-on plusieurs fois), et la confrontation à soi-même avec la prise de conscience que la continuité est rompue sont balayées en quelques répliques, sacrifiée au profit des mandales, des cris et des poursuites.
Les réécritures multiples, les coupes et les modifications semblent avoir été nombreuses, tant l’ensemble manque d’unité, de fluidité et de cohérence. Les sous intrigues n’ont aucun intérêt (les créanciers par exemple), chaque scène ajoute un nouvel enjeu auquel les personnages eux-mêmes ne semblent rien comprendre : ainsi du festin chez Marshall, où l’on invite Mickey, tout en lui faisant goûter un plat expérimental, puis un remède expérimental, en ajoutant l’arrivée de Kai à qui on expose un autre projet qui n’a rien à voir. La quête finale sera encore pire, où l’on se croit virtuose en composant un enjeu irrésumable à base de génocide, sacrifice, punition, jeu de téléréalité, bombes humaines, règles absconses dictées par une créature, le tout recouvert d’un méta de bon aloi où l’on se demande comment filmer ça au profit d’une propagande satirisée.
C’est épuisant, stupide, boursouflé, et sans autre enjeu que d’enfoncer des portes ouvertes : la partition d’une lourdeur sans fin de Ruffalo et Collette répète ad lib les mêmes motifs, avant que tout aussi poussif discours de Naomi Ackie ne vienne énoncer, avec de multiples fuck plein de colère, des vérités que tout le monde avait comprises. Certains y verront peut-être une volonté d’atteindre les adorateurs décérébrés des tyrans du monde réel. C’est faire preuve d’un optimisme aussi pathétique que celui qui clôt le film, qui ressemble en tous points à ceux qu’Hollywood voulaient imposer aux créateurs de Blade Runner ou Brazil. Car on était en droit d’attendre une véritable grandeur venant d’un cinéaste aussi talentueux qui, dans Snowpiercer, sauvait bien des lourdeurs par quelques séquences magistralement filmées. Ici, rien : pas de mise en scène notable, un recours paresseux à une CGI passe partout, et de vrais problèmes de rythme dans le montage. Le bluff évoqué dans l’épilogue pourrait s’appliquer au film tout entier : une grosse gueulante stridente dénuée de tout impact.