Flop around the bunker

Ca y est j'ai écouté Rock around the bunker ! Il a fallu un peu me forcer (quelques années) même si je suis un inconditionnel de Gainsbourg. Je crois que je n'avais pas vraiment envie de découvrir ce qui est présenté généralement comme "l'album raté". Il faut dire pour commencer que l'idée de faire un concept album satirique sur le nazisme est particulièrement casse-gueule et tirée par les cheveux. Certes Gainsbourg est un provocateur génial mais là on peut dire qu'il s'aventure bien loin de ses terrains de prédilection et de ses autres "concept-albums" de la même époque. Certaines critiques positives m'ont finalement donné envie de m'y jeter.

Ce n'est pas l'aspect musical qui m'a le plus dérangé, certes on est loin de tenir les meilleurs compos du maître et on est un peu dans le cliché rockabilly mais c'est bien joué et ça pourrait tenir la route. La voix de Gainsbourg qui peine un peu à surplomber l'énergie du groupe, est mixée nettement en avant pour donner une chance à l'auditeur de saisir les multiples allitérations. Du coup ça sonne un peu toc mais puisqu'il s'agit d'une sorte de farce ce n'est pas si gênant en soi.

Alors il est où le problème ? Et bien une fois n'est pas coutume ce sont les textes qui ne passent pas. Contrairement à Melody Nelson ou l'Homme à tête de chou, on ne peut pas vraiment parler de narration. Certes on suit une trame vaguement chronologique mais le reste est très flou: le narrateur semble prendre tour à tour le rôle d'un nazi quelconque, puis de Hitler himself, peut-être d'Eva Braun, d'un juif (Ginzburg enfant ?), puis à nouveau de Hitler, et enfin d'un SS exilé en Amérique latine. Le tout étant écrit et chanté de façon assez uniforme on a un peu du mal à entrer dans la peau des "personnages".

On comprend bien la tentative d’exorciser sa propre histoire par l'humour et de ridiculiser le nazisme au passage mais ça n'est jamais vraiment drôle. Les idées grotesques ne manquent pas (comparer les nazis à des folles en uniforme, camper un Hitler transi d'amour tolérant les goûts musicaux "décadents" d'Eva Braun pour pouvoir faire zizi-panpan, tropicaliser un ex-SS) mais, même au douzième degré, on a du mal à sourire et encore moins à rire.

On dirait que Gainsbourg n'arrive pas vraiment à rire de ce sujet et on ne peut pas vraiment lui en vouloir. Son ironie souvent mordante et son sens de l'outrance sont comme anesthésiés malgré des choix provocateurs et radicaux. Il n'est pas non plus un humoriste et le déferlement de jeux de mots ou les caricatures d'accents espagnols, allemands ou franglish ne font pas mouche. Il faudra attendre les années 80 pour voir Desproges ou Villeret réussir à traiter du nazisme avec succès, par l'humour noir ou le ridicule.

Reste un objet sans réelle dimension politique, dramatique ou véritablement comique et qui n'a pas vraiment de sens. Yellow Star parvient tout de même à laisser filtrer une certaine émotion (mais c'est la seule chanson écrite de son propre point de vue, en quelque sorte). SS in Uruguay arrive à dire un peu l'ironie cruelle d'un tortionnaire exilé dans une retraite exotique de pacha. Le reste est oubliable.

Alors 6/10 quand même parce que:
- c'est Gainsbourg merde !
- c'est quand même incroyablement couillu !
- c'est un album à écouter si on est fan, au moins pour comprendre un peu mieux le bonhomme

Bon, il ne me reste plus qu'à écouter You're under arrest...