Lorsque sort Roulette Russe, Bashung n’a plus grand-chose à perdre, et cela s’entend dès le premier morceau, Je Fume Pour Oublier Que Tu Bois. C’est sa dernière chance d’accéder à une carrière respectable. Bashung est alors considéré comme un ringard au CV bordélique. Quelques singles, des arrangements sur des albums de Dick Rivers, un passage télé assez hallucinant où il fout la honte à Claude François en chantant Belles Belles Belles deux fois mieux que le tyrannique blondinet. Pour autant, pas de quoi rentrer dans le légendaire. Avec Roulette Russe, il a enfin fourni un travail digne de sa sensibilité. Musicalement, on sent bien que Dire Straits est passé par là et certains titres sont parfaitement oubliables, mais ce n’est pas ce qui marque dans cet album. Bashung avait très tôt fait preuve d’aisances vocales impressionnantes mais il n’avait manifestement pas trouvé le timbre qui correspondait à sa personnalité. Roulette Russe est un net progrès : le chanteur s’y montre sensuel et nonchalant, parfois même totalement désabusé, d’une honnêteté un peu kamikaze. Comme sur le mémorable Bijou Bijou, récit d’une rupture amoureuse tragique, de celles qui laissent des séquelles pour toute une vie. Le narrateur s’extirpe du lit commun en silence, pour ne pas réveiller celle qu’il n’a plus l’intention de revoir. Partagé entre la honte et la lâcheté assumée, l’amant fugitif se rhabille discrètement avant de prendre la tangente, laissant sa douce seule dans le capharnaüm de son appartement, au milieu des fringues sales, des paquets de clopes froissés et des emballages de capotes vides. Le texte est saisissant et la scène décrite est plus vraie que nature, on devine l’humidité qui suinte des murs, la transpiration qui imprègne encore les draps et cette odeur de tabac froid, l’odeur du fantôme que Bashung laisse derrière lui.
Extrait du podcast de Graine de Violence, la version complète dispo ici :
http://www.chicane-magazine.com/2017/07/13/podcast-graine-de-violence-alain-bashung/