Le titre éloquent de l'album serait une citation de Sir Winston Churchill qui qualifierait ainsi la marine, les Pogues n'auraient pu trouver plus approprié.
Les morceaux qui le composent évoluent entre compositions du groupe et chansons populaires irlandaises réarangées à leur sauce punk-folk (ce qui n'est pas si facile à prononcer) reconnaissable entre toutes, souvent imitée, jamais égalée, entre les Dubliners et les Clash. Le style est braillard, gueulard et bâtard pour reprendre une formule de Tom Waits qui, en grand admirateur signe dans les notes de l'édition de 2004 un poème à la gloire de ces Irlandais plus ou moins pur jus.
L'écriture de Shane McGowan, est comme son chant, rugueuse, directe, alcoolisée mais poignante. Peu de notes sont justes, mais non seulement chacune fait mouche mais en plus c'est le cadet des soucis du chanteur tout autant que le notre tant il s'agit à proprement parler du style distinctif du groupe. La musique est une relecture énergique et aux accents punks de la musique traditionnelle irlandaise en particulier mais teintée de nombreuses influences plus générales avec la présence bienvenue du banjo par exemple. Les musiciens semblent parfois déchaînés tant leur enthousiasme est perceptible, la flûte de Spider Stacey est virevoltante, le banjo entraînant de Jim Finer ajoute sa note country et échevelée tandis que l'accordéon de James Fearnley semble survitaminé. Lorsque le ton se fait plus mélancolique, la joyeuse bande sait se faire délicate et sincère avec une efficacité à faire pleurer dans son whiskey.

Ici, les Pogues se font endiablés, comme sur le morceau d'ouverture "The Sick Bed of Cúchulainn" qui relate à la façon d'une chanson à boire la légende de ce héros de la mythologie celte, sur "Sally MacLennane" qui vous donnera envie d'avaler pinte sur pinte (de Bushmills ou de Guinness selon votre appétit) ou sur l'irrésistible relecture de la chanson traditionnelle "Jesse James". D'autres chansons tireront de vos yeux les plus sincères larmes d'ivrogne. C'est le cas de "The Old Main Drag", récit pathétique de la déchéance d'un jeune immigré venu s'enliser dans les caniveaux de Londres, de "A Man You Don't Meet Everyday", interprété ironiquement par l'unique membre féminin du groupe à l'époque ou encore du poignant "And the Band Played Waltzing Matilda" relatant le sinistre destin des vétérans Australiens de la Première Guerre Mondiale.
"A Rainy Night in Soho" revient avec nostalgie sur les tribulation d'un ivrogne, "Navigator" ajoute sa touche maritime et gouailleuse d'une façon opportune, "Body of an American" transforme un enterrement en joyeuse beuverie quant au "Gentleman Soldier", il donne une image peu reluisante des moeurs militaires avec un Shane McGowan tellement en forme qu'il fait lui même les différentes voix des personnages de la chanson, y compris la jeune fille hystérique bafouée par le soldat pas vraiment gentleman. Les compositions originales épousent à merveille le folklore si bien qu'il est difficile sans s'y connaître de séparer les unes des autres, certains morceaux sont d'ailleurs à mi-chemin, incluant des emprunts aux folklore au sein d'une oeuvre personnelle. "Billy's Bones" cite la comptine anglaise de "Solomon Grundy" par exemple.
N'oublions pas le merveilleux "A Pair of Brown Eyes" qui sera le premier single (et succès) de l'album qui synthétise admirablement l'esprit de ce joyeux naufrage.
Mais s'il est une pépite au milieu de ce bric à brac fabuleux, c'est bien la chanson "Dirty Old Town", reprise de Ewan McColl (dont la fille Christy chantera avec les Pogues sur la chanson "Fairytale of New-York) rendue célèbre par les Dubliners mais dont la version des Pogues éclipse toutes les autres. La haine et l'amour s'y mêlent avec merveille grâce à la voix de Shane qui met toutes ses tripes dans cette évocation acide d'une ville industrielle.
En somme, l'album Rhum, Sodomy & the Lash est incontournable, les émotions exacerbées par du whiskey par pintes vous prendront au ventre dés la première écoute et révéleront de touchantes subtilités à mesure de ses redécouvertes. Chacun des morceaux qui composent l'album est une véritable réussite, un membre attachant de l'équipage disparate qui compose ce véritable radeau de la Méduse qui, comme le souligne la réinterprétation de la couverture n'est jamais très loin du naufrage, soulignant ainsi une beauté brute et âpre, mais on ne peut plus sincère.

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le 12 juin 2012

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I-Reverend

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