"Pour beaucoup, et pour moi aussi d’ailleurs, il s’agit là du chef d’œuvre du Scott des années soixante, dans une discographie déjà bien fournie en pépites. Dès l’entame, il déballe ses obsessions européennes avec The Seventh Seal, transcription littérale du film de Bergman dans lequel un chevalier affronte la Grande Faucheuse lors d’une partie d’échecs. Guitare sèche, trompette et chants grégoriens accompagnent ce récit funèbre qui s’intensifie d’un demi-ton à chaque couplet. Avec ses accents espagnols, The Seventh Seal transcende sa thématique sinistre. Plus qu’une épreuve, la mort est appréhendée comme une grandiose aventure philosophique, guidant les âmes vers une nouvelle façon d’exister. La chanson pourrait symboliser la nouvelle mue artistique de Scott Walker, en cela elle ouvre idéalement ce quatrième album qui est le premier de son auteur à ne contenir que des compositions originales. Et malgré cette barre très haute placée, les titres suivants ne baissent jamais en qualité. L'arrangeuse Angela Morley n’est plus présente que sur deux morceaux, On Your Own Again et l’incroyable Boy Child, mais on reconnaît instantanément ses arrangements si précieux. Pour le reste, Scott a remis ses orchestrations au goût du jour, en collant par exemple des chœurs féminins très tendances sur Get Behind Me ou une énorme basse rock sur The Old Man’s Back Again. Il reste néanmoins fidèle à son image de cœur d’artichaut en signant deux de ses plus belles chansons d’amour, Duchess et The World’s Strongest Man. Dans la deuxième partie de Scott 4, c’est sur un terrain politique qu’il emmène l’auditeur. Il dresse avec Hero Of The War le portrait d’un soldat revenu estropié du combat. Très vite, on comprend que les honneurs qu’il est censé mériter n’ont rien d’évident, et que les bienfaits de ses supposés exploits restent à prouver. The Old Man’s Back Again est une critique frontale de l’invasion de la Tchécoslovaquie, alors en pleine voie d’émancipation, par l’URSS de Brejnev en 1968. Le vieil homme du titre en question n’étant autre que Joseph Staline, mort quinze années auparavant mais dont l’influence malsaine demeurait. La guerre, la dictature, la hantise du passé et plus généralement la corruption de l’humanité, sont alors des sujets nouveaux qui deviendront plus tard prédominants dans l’œuvre de Scott Walker. Enfin, le lumineux Rhymes Of Goodbye conclue un album qui parvient à la fois à être le plus personnel, le plus ambitieux mais aussi le plus accessible de son auteur."
Extrait du podcast Graine de Violence à découvrir ici :
"Scott Walker, la métamorphose du jeune premier"
https://graine-de-violence.lepodcast.fr/scott-walker-la-metamorphose-du-jeune-premier