« La musique reste ma passion. Quand tu es dans une pièce avec des musiciens qu’il se passe quelque chose, c’est un sentiment unique. Je continuerai d’écrire des chansons jusqu’à la fin. C’est ce que j’aime faire »
En multipliant ses activités humanitaires et en freinant de plus en plus sa propre production musicale, PETER GABRIEL n’aura finalement pas proposé grand-chose depuis 2002 et plus précisément l’album UP, sommet de noirceur dédié à son père et aboutissement sonique quasi-définitif. Au mieux, la chanson du chef d’œuvre signé Pixar, Wall-e il y a deux ans. Et sinon ? La furieuse impression que notre ami solde ses comptes avec le temps qui passe et, en ligne de mire, ce miroitement chimérique d’une retraite dorée dans son cottage anglais.
« L’industrie musicale est morte, mais il reste de nombreuses formes de vie intéressante sur le cadavre »
Pourtant, loin de laisser le bon temps rouler, Peter Gabriel se remet en selle avec un concept à la fois curieux et évident. Par un échange de bons procédés, Scratch My Back se révèle un condensé orchestral, sans guitare ni batterie, de chansons empruntées à DAVID BOWIE, ARCADE FIRE, RADIOHEAD, PAUL SIMON ou RANDY NEWMAN. Juste retour des choses, un second volet intitulé I’ll Scratch Yours permettra prochainement à ces mêmes artistes de lui rendre la pareille, en piochant cette fois dans son répertoire : Radiohead a ainsi mis en boîte « Wallflower ». Après la World Music, voici donc la musique équitable.
« Je chercherai toujours un angle pour me distinguer des autres »
Malgré cette réponse à un monde musical en décrépitude, les retrouvailles avec l’ancien chanteur de GENESIS pourront donc sembler déceptifs aux plus ardents aficionados. Ce serait trop vite oublier les capacités d’adaptation, de vibration et pour tout dire, de réinterprétation de notre ami. Loin d’une opération karaoké ou d’un simple hommage, nous assistons ici à une véritable réappropriation, une intériorisation, une assimilation pure et simple de chaque morceau. En bouleversant les textures pour en aspirer toute l’essence, Peter Gabriel fait plus que s’approprier les textes, il les transforme en autant de manifestes personnels. A ce niveau, le chant se frotte au grandiose et délivre une partition dont on se remettra péniblement.
« Avec l’âge, la gravité l’emporte. Vous êtes comme attiré vers le sol et à ce petit jeu, si vous perdez quelques notes d’en haut, vous en gagnez quelques unes plus terre à terre. Vous devenez un peu plus vous-mêmes, que vous le vouliez ou pas »
Suivant une trajectoire de moins en moins optimiste, Scratch My Back dépasse sans forcer la noirceur du précédent album. Il la triture et la déchiquette pour n’en garder qu’un noyau, condensé de pur spleen paumé dans la nuit. Un trou noir de mélancolie intense qui avale tout autour, sans arrière-pensée.
« J’aimerai vraiment faire quelque chose de joyeux. Ce que je veux faire avec le prochain album ira dans ce sens, comme avec le disco »
Sur cette barque baudelairienne, frémissante (« Heroes »), tendre (« The Boy in the Bubble ») et magique (« Après-moi »), quelques lueurs d’espoir surnagent (« The Book of Love », « The Power of the Heart » extraordinaire). Quelques rares éclairs qui déchirent cette abyssale obscurité portée définitivement aux nues par les chœurs angéliques de « My Body Is A Cage ».
« Il y a des raisons pour être effrayé aujourd’hui. On croit toujours faire des progrès mais quand on regarde l’histoire que nous laissons, on peut penser que nous sommes au seuil d’une période très sombre. Mais je reste optimiste, c’est dans ma nature »
L’orchestre et la production, magnifiques, font immédiatement penser à ses plus récents travaux pour le cinéma. De fait, chaque morceau nous invite au voyage. Dans la solitude, le dénuement. Face à nous même. Face à nos émotions brutes. Enfin mis à terre, on se sent tout petit devant une si grande montagne.