Les puristes aiment souvent vous raconter que les années 1980 furent l’âge d’or du grunge. Une ère où le genre était à son plus crade et à son plus approximatif. Sauf que les poses du "plus ça sonne sombre et amateur, plus c’est bon", ça va bien cinq minutes.
C’était une musique novatrice à ses débuts, mais elle était pauvre en disques essentiels. Si certaines bandes telles que les L7, Screaming Trees ou Nirvana furent capables de sortir quelques bon jets longue durée, il fallait aussi supporter la médiocrité de Green River. De toute façon, tous ces groupes firent mieux après. Notamment quand ils furent signés sur des grosses structures. Que vous le vouliez ou non, ce style n’a jamais été aussi bon que quand il se vendait beaucoup. Et plutôt que de le dédaigner avec snobisme, il vaudrait mieux s’en réjouir !
En vérité, le meilleur du grunge des 80s ne se trouvait pas dans les albums, mais dans les objets annexes comme les EPs et les singles. L’exemple le plus connu étant Superfuzz Bigmuff et les merveilleux singles de Mudhoney. Le label Sub Pop ayant eu, en plus, la grande idée de les rassembler en une compilation. Ce qui en fait le sommet du gang de Mark Arm.
Profitons-en alors pour aborder le cas des deux plus anciens EPs de Soundgarden qui sont également réunis sur un seul CD par Sub Pop. Une autre initiative à saluer car cette compilation est aussi un des plus remarquables témoignages de cette ère underground.
Une révélation déconcertante à première vue car si leurs premiers albums sont intéressants, ils sont perfectibles et parfois même terriblement brouillons. En particulier Ultramega OK qui alliait metal lourd et sens de l’humour douteux. Encore plus inattendu, l’EP Screaming Life est bien meilleur ! Toute l’identité des premières années du Jardin du Son est là : du hard rock enfumé, du metal trèèèèèès heavy, de l’impertinence punk et du post-punk noisy (« Little Joe » et « Hand of God »). Sauf que tout cela est extrêmement abouti. Que ce soit avec des compositions classiques (« Hunted Down ») ou non (le ténébreux « Nothin' to Say », soit une de leurs plus grandes chansons). Certaines surprises s’avèrent très convaincantes telle ce « Tears to Forget » qui sonne comme une version punk de Judas Priest (mais sans l’aspect crypto-gay) grâce au chant de Chris Cornell. Ce dernier n’a pas encore cette profondeur émotionnelle qui le rendra si génial dans les 90s. Cependant, il possède une étonnante polyvalence vocale. Il fait même preuve d’une folie rafraîchissante (sa gueulante finale dans « Nothin' to Say » et ses vocaux échappés de la section troisième âge d’un asile sur « Little Joe »). Les expérimentations sont donc nombreuses sans qu’elles se fassent au détriment des compositions. Au point que Screaming Life est, sans problème, le meilleur disque grunge des 80s.
L’EP Fopp n’est malheureusement pas du même niveau. S’il s’avère bon, il ne possède pas autant de morceaux excellents en raison de sa courte durée. A vrai dire, il annonce la spontanéité punk de Ultramega OK mais également sa complaisance. Le morceau qui donne son titre à cette sortie augurant ce sens de l’humour totalement couillon qui ne fit pas que des heureux. Toutefois, ce titre et sa version dub s’avèrent diablement accrocheurs. Leur originalité et leur côté déjanté étant plus amusants que lassants. L’intervention des cuivres annonce, en prime, l’énorme « Drawing Flies » de Badmotorfinger.
Screaming Life / Fopp est donc un objet indispensable pour les amateurs de Soundgarden et de grunge. Car dès ses premiers pas, ce groupe prouvait qu’il était au-dessus de tous les autres. Même lorsque l’absence de maturité maintenait un équilibre précaire entre inspiration et foutage de gueule. Un équilibre fascinant qui rend cette œuvre plutôt unique avec le recul.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.