Il n’y a rien de tel qu’une bonne surprise pour reprendre foi dans l’actualité musicale. Car à force de se faire fourguer des musiques sans saveur ou creuses par des médias qui ne font pas bien leur boulot en triant dans les innombrables sorties du moment, on devient exagérément méfiant.
L’histoire de Sea When Absent aura commencé par une banale discussion entre deux passionnés de musique :
« - Hé Seiji, toi qui adores le shoegaze. Tu étais au courant que Pitchfork avait très bien noté un album du genre ?
- * Je pouffe * C’est sans doute un autre disque de revival sans le moindre intérêt. Quand je pense que ces cons font les difficiles avec Tamaryn et les derniers School of Seven Bells, ça me rend malade. Mais si j’ai du temps à perdre, je l’écouterais. »
Quelques jours plus tard, me voilà prêt à écouter cette énième sortie shoegaze. Blindé de certitudes inébranlables, la faute à un site qui a trop souvent surestimé des albums dont la durée de vie est équivalente à celle d’un papillon. Sauf que l’immense flot de distorsion qui jaillit de mes enceintes au début de « Byebye, Big Ocean (The End) » provoqua une fissure dans mes convictions. Qu’est-ce que c’était, ce shoegaze inclassable aux refrains plus lumineux que du disco ?
Difficile de ne pas reconnaître que, pour une fois, Pitchfork ne s’était pas trompé. Ce n’est pas une musique commune et peut-être même une sortie historique. Alors il vaut mieux sortir un name dropping d’initié pour ne pas perdre la face. Tout cela ressemble à Stereolab dans la démarche et stylistiquement parlant, c’est même très ressemblant à ce que faisait les méconnus All Natural Lemon & Lime Flavors. Mais j’aurai beau retourner l'objet dans tous les sens, Sea When Absent a su tracer sa propre voie. La comparaison la plus pertinente à faire étant celle du Merriweather Post Pavilion de Animal Collective. Un disque qui aura subjugué quelques personnes et fatigué beaucoup d’autres parce que le résultat n’était pas à la hauteur de l’objectif : faire une musique pop et expérimentale.
Avec ce 4ème album (et le premier à bénéficier d’une sortie européenne) A Sunny Day in Glasgow a réussi exactement là où le Collectif Animalier a échoué : concilier une écriture de chansons limpides sur des arrangements chaotiques et presque bruitistes.
Il est vrai que l’album n’est pas non plus immédiat à cause de ce parti pris. Ça tourbillonne dans tous les sens, les mélodies vocales, d’une clarté et d’une beauté irréelles, sont parfois chassées par des arrangements tantôt électroniques, tantôt brutaux pour finalement revenir à la charge.
Sea When Absent est en vérité une jungle sonore. Une musique qui intrigue par sa fougue et sa créativité, mais ne dévoilant pas ses trésors immédiatement. Même si certains morceaux enchantent rapidement comme MTLOV (avec une introduction joviale qui enchantera ou rebutera) et le tubesque Golden Waves qui recycle avec malice des voix déformées devenues une norme sur la bande FM. Sans oublier ces surprises sonores qui saisissent le palpitant tellement on ne s’y attend pas (ce synthé prenant des proportions épiques sur « The Body, It Bends »).
Évidemment avec un tel décloisonnement de styles, on ne peut pas faire l’unanimité, la formation n’hésitant pas à faire de sa création un mutant improbable. Les chanteuses (très en voix) ont des intonations vocales qui doivent autant à la twee pop qu’au R&B (j’irais même jusqu’à dire qu’il y a du Lene Marlin dans ces chants). Mais c’est aussi ce mélange paraissant inconciliable sur le papier qui fait une partie du mérite de cet ovni.
Qu’importe toutes ces considérations. Car avec un tel sens de la mélodie et une créativité que je n’avais pas entendu dans le shoegaze depuis la fin des années 1990, A Sunny Day in Glasgow réalise le hold up de l’année avec une musique siphonnée et lumineuse. Préparez votre crème solaire !
Chronique consultable sur Forces Parallèles.