Nous étions en 1974 : la guerre froide faisait rage à nouveau, et nous vivions au rythme des complots, des menaces diffuses et de la paranoïa globale... Moi qui n'aimais pas le hard-rock (comme on l'appelait encore à cette époque), voilà qu'un groupe issu de cette musique que je considérais, avec l'arrogance de mes 17 ans, comme "infantile et stupide", venait mettre en musique ces noirs contes de trahison, de conquêtes damnées et de manipulation. Avec la caution - importante pour moi qui me nourrissais du Velvet et d'Elliott Murphy - de l'intelligentsia new-yorkaise, il était soudain possible de se repaître d'histoires tellement modernes de futures dictatures orwelliennes et d'amours déviants.
Après deux disques parfaitement réussis et acclamés par la critique (les plus âgés se souviendront peut-être de l'enthousiasme d'Yves Adrien dans Rock & Folk !), le Blue Öyster Cult lâchait sur nous un chapelet de huit bombes réunies sur ce qui resterait son plus bel album, "Secret Treaties", et le préféré de TOUS les fans. Cette fois, même si on restait dans la trajectoire de "Blue Öyster Cult" et de "Tyranny & Mutation", le rock de la Secte de l'Huître Bleue se faisait moins lourd, moins implacable, plus "varié" et plus - osons l'écrire - mélodique encore. Les textes, complexes, abscons, qui nous paraissaient si fascinants alors que nous ne comprenions que très mal l'anglais, parlaient de jeux sadomasochistes une nuit de Nouvel An, de télépathes consumés par la jalousie et de Messerschmitts en mission suicide ! La guitare de Buck Dharma touchait au sublime, à des hauteurs stratosphériques qu'elle ne quitterait plus même sur des albums moins inspirés. La voix d'Eric Bloom, qui, exceptionnellement, officie ici sur TOUS les morceaux sauf "Dominance & Submission", offrait une alternative rafraichissante aux habituels hurlements typiques du genre... Et en plus, ce disque, sans aucune chanson faible, se terminait par le sublime "Astronomy", la plus grande composition des Frères Bouchard, un morceau qui fut qualifié par une critique goûtant la provocation de ""Stairway to Heaven" pour les gens intelligents" !
Mélodique, sophistiqué, mais néanmoins virulent (comme sur "Dominance & Submission" ou sur "Harvester of Eyes"...), conceptuellement brillant, troublant et même parfois effrayant, "Secret Treaties" devint un incontournable de toute discothèque un tant soit peu "éclairée", grâce à son cocktail d'alcool fort et de sucre parfaitement équilibré ! Il faut néanmoins se souvenir que, bien que tous juifs dans le groupe, les musiciens du BÖC furent paradoxalement accusés à l'époque de véhiculer une idéologie crypto-nazie, accusations qui allaient encore enfler lors de la parution de leur premier album live, le double "On Your Feet or On Your Knees". Mais c'est une autre histoire...
Après ce sommet, le Blue Öyster Cult ne retrouverait plus qu'épisodiquement une telle grandeur, mais resterait pour toujours l'un de mes groupes fétiches.
"I am after rebellion, I'll settle for lies…" ("Flaming Telepaths")
[Critique ré-écrite en 2021, à partir de versions précédentes en 2003 et 2018]