Je n'ai découvert cet album que récemment. Je ne sais pas pourquoi.
Pourtant, à l'époque lointaine où j'écumais le rayon Vangelis de la (défunte) Fnac des Italiens à Paris, plutôt bien fourni d'ailleurs, je ne m'étais jamais arrêté sur ce disque. Je suis presque sûr de l'avoir vu dans le bac, en plus. Pourquoi je ne l'ai pas acheté comme tous les autres ou presque, mystère.
L'instinct, peut-être.
Qu'est-il passé par la tête de Vangelis pour qu'il ponde un ovni pareil, à l'aube des années 80, alors qu'il sortait d'une décennie majestueuse émaillée d'albums géniaux (Heaven & Hell, Albedo 0.39, Spiral) ?
Volonté de rupture, d'aller là où personne ne l'attendait ? De tenter de nouvelles choses ?
Abus de substances illicites à effets secondaires incontrôlables ?
Foutage de gueule assumé ?
Difficile de trancher. Ce qui est certain, c'est que cet album ne ressemble pas à grand-chose d'autre dans l’œuvre passée ou à venir de Vangelis.
On retrouve certes les sonorités familières de ses claviers de l'époque, notamment l'inévitable Yamaha CS-80.
Le travail sur les voix également, récurrent chez le compositeur, mais poussées ici dans de bien curieux retranchements - tordues au Vocoder dans "I can't take it any more", le titre d'ouverture, récitatives façon speakerine dans "Not a bit - All of it" ou en italien (?) dans "Suffocation"...
Dans "Not a bit...", on entend même un homme chanter plus ou moins juste sous sa douche... c'est Vangelis lui-même, pas habitué à pousser la chansonnette dans ses disques !
Pour le reste, que d'étrangetés...
Vangelis s'amuse à faire du second degré musical façon Frank Zappa, créant ici des litanies énervantes au possible ("Not a bit - All of it", dont le gimmick aux faux airs de mélodie indienne me fait grincer des dents), s'élançant là dans des envolées de rock prog perturbées par des voix racontant des choses sans queue ni tête dans différentes langues ou des voix d'enfant ("See You Later"), cadrant encore sa virtuosité naturelle dans des boîtes à rythme froides et répétitives ("Multi-Track Suggestion").
Dans ce drôle de bazar, on retiendra tout de même la première occurrence de "Memories of Green", magnifique rêverie au piano désaccordé façon baltringue, qui connaîtra deux ans plus tard une renommée méritée en s'inscrustant dans la bande originale de Blade Runner.
Bien que traversé de moments géniaux, où la patte de Vangelis transparaît presque malgré lui, l'ensemble paraît sans queue ni tête, dénué de la cohérence que l'on attribue généralement aux œuvres toujours très bien pensées et conçues du compositeur grec.
Cette absence apparente de construction est, sans aucun doute, la preuve paradoxale d'une déconstruction volontaire et assumée, destinée à dérouter l'auditeur et à l'emmener dans un voyage perturbant, aussi drôle qu'exaspérant.
Même si Vangelis, tout au long de son œuvre, a fait la démonstration qu'il savait tout faire ou presque, et aligné des albums très différents les uns des autres, See You Later reste sa seule véritable tentative de se montrer là où on ne l'attendait pas du tout.
Un effort méritoire, qui vaut tout de même le coup d'oreille, d'autant plus qu'un projet aussi clivant a toutes les chances de rencontrer autant de soutiens enflammés que de rejets définitifs...
Plus que jamais donc, à chacun de se faire son opinion.