Une partie de balle à tout péter, Gabriel
(Chronique "La critique introspective, c'est pas pour les endives" n°8)
Un souvenir de petit matin baigné d'un doux soleil printanier, au sortir d'une nouvelle nuit blanche.
Ce n'est d'ailleurs pas dur, en cette fin de première année universitaire, entre les jeux (cartes, sociétés, rôles) les séances de films en VHS et autres activité drôlatique propre à tout jeune adulte normalement constitué, la vie ne semble s'expérimenter presqu'exclusivement que lorsque le soleil est occupé à faire bénéficier de ses faveurs l'autre côté de la planète.
N'ayant pas encore l'autonomie d'un petit studio à moi, j'invite souvent mes potes dans la maison familiale, maison cossue provençale dans laquelle j'ai posé mes affaires depuis l'inscription en fac d'histoire. Le lieu possède en effet deux gros avantages : son côté spacieux et sa relative inoccupation par une mère très occupée et une grand-mère que le grand-âge rend de plus en plus sourde et donc nous de plus en plus libres d'occuper la cave, le jardin, la chambre, les dépendances, la cour, et d'y commettre mille-et-une turpitudes.
Avant d'en arriver au souvenir même, il me faut vous faire une confession. Après m'être sorti d'une longue maladie ayant pourrie toute mon adolescence (appelée "fan de hard-rock"), la rémission prendra une forme cruelle: j'ai en effet aussi eu ma période rock progressif.
Je trouve aujourd'hui qu'avec un tel passif, je m'en suis très bien sorti.
Le souvenir, donc.
En soit, il ne s'est pas passé grand-chose.
Un jeu de ballon puéril entre les fils tendus d'une pergola défraichie
Le tout baigné d'un "Firth of Fifth" fendu d'un solo aux évocations lointaines si puissantes que la partie en devint rapidement homérique et onirique (la fatigue physique et psychique a aussi sans doute aidé à ce que ce moment obtienne ce statut).
Une trajectoire mal négociée et nous voilà obligés de monter sur l'Himalaya pour récupérer la balle... Un faux geste et plouf, obligés d'aller la chercher aux fond de la fosse des Mariannes. Nous bondissions par dessus le mont Olympe pour contrer un smash, enjambions l'Atlantide pour ne pas perdre le point, nous faisions attirer au fond de la Moria lorsque la balle disparaissait sous un bosquet, survolions le mont chauve pour nous saisir d'un graal qui s'était improvisé une forme de sphère caoutchouteuse.
Pourquoi ce moment très banal me vient à l'esprit à chaque fois que j'entends le solo de Steve Hackett ? Pourquoi, lorsque je me penche avec stupeur et interrogation dubitative sur mes vertes années, me revient en mémoire cette partie de ballon banale et extraordinaire ? ça reste un mystère.
Toujours est-il que ce morceau et ce disque ont pour moi une saveur incomparable. A l'instar de ce ballon aux couleurs défraichies, un souvenir qui rebondit mollement mais voluptueusement dans le paysage de mes années de jeune adulte mais, toujours en suspension, jamais ne termine sa course.
Par contre, je ne me souviens plus qui de nous avait gagné. Ça ne devait donc pas être moi. Mais c'était surement au cause de la fatigue. Je ne vois pas d'autres explications.
(Les autres chroniques: http://www.senscritique.com/liste/La_critique_introspective_c_est_pas_pour_les_endives/69932)