Ça y est, Bowie est ENFIN !!!! une star planétaire : il a atteint ce statut qu’il convoitait tant, et ce grâce à Let’s Dance, un album chic et superficiel, que la plupart de ses fans de la première heure considèrent déjà comme le moins intéressant de toute sa carrière. Il a un nouveau public qui brûle de le voir sur scène interpréter les tubes de Let’s Dance, un public dont la masse colossale aura tôt fait d’engloutir et les nostalgiques de Ziggy et du Thin White Duke, ainsi que les esthètes adeptes de la trilogie berlinoise. Bowie lui-même a du mal à prendre la mesure de ce qui lui arrive, puisque la nouvelle tournée qu’il entame, après un long « confinement » volontaire en Suisse – que l’on dit conséquent à l’assassinat de l’ami John Lennon 3 ans plus tôt – n’intègre pas, dans les premiers temps, des lieux de concerts à la taille de la demande : c’est lorsqu’il passe aux stades, qui affichent sold out, que Bowie réalise que, désormais, tout sera différent. Private joke, cette tournée sera rebaptisée a posteriori par Bowie son "Blond Ambition Tour", et au moment de monter le "Glass Spider Tour", quelques années plus tard, Bowie spécifiera clairement qu’il voudra éviter de répéter l’expérience "Serious Moonlight" !

Sur scène, Bowie est entouré d’un orchestre hétéroclite d’excellents musiciens (qui a dit « requins de studio » ?), qui n’offrira plus cet « esprit de groupe » qui régnait encore jusque là. A la guitare, le dispensable Earl Slick a été rappelé à la rescousse pour remplacer au pied levé Stevie Ray Vaughan, prévu jusqu’à quelques jours du départ de la tournée et viré parce qu’en plein trip cocaïnomane, ce qui n’était pas compatible avec les principes d’un Bowie, clean, qui n’avait pas oublié les tourments par lesquelles il était passé avant son exil à Berlin. Sinon, Carlos Alomar est toujours là, aux commandes, et heureusement, mais globalement, on parle de gens sur scène qui sont payés pour exécuter avec perfection des chansons qui ne sont pas « les leurs ».

L’écoute de l’enregistrement Serious Moonlight Live, bande sonore du film Serious Moonlight enregistré en septembre 1983 à Vancouver, qui ne sera publié réellement (comme album live) qu’en 2019, traduit impeccablement cette qualité de l’interprétation, ce lustre brillant – très années 80 – qui est conféré systématiquement aux chansons : on admirera le savoir-faire et l’impression de luxe qui se dégagent de tout ça, mais on ne pourra que regretter que tout cela soit désormais bien dépourvu d’âme. De quoi ? D’âme, oui…

La setlist, paradoxalement, n’est guère généreuse en extraits de Let’s Dance – seulement quatre (Let’s Dance, Cat People, China Girl, Modern Love), et on entend l’hystérie du public monter d’un cran quand ils sont interprétés –, mais propose un mix bien équilibré de titres couvrant à peu près toutes les époques, dans des versions souvent « gonflées aux hormones » : les exemples les plus désagréables étant certainement Life of Mars? qui devient ici un barnum spectaculaire, et la cover du White Light White Heat du Velvet, plus « hors de propos » que jamais), alors que, paradoxalement, les deux « anomalies » de Low (What In The World, Breaking Glass) prennent la forme de monstres spectaculaires assez fascinants.

Il faut néanmoins reconnaître, en dépit de notre réticence à l’époque à admettre que celui qui était notre idole, presque notre dieu personnel depuis près de quinze ans, appartenait désormais à tout le monde, les concerts de la tournée Serious Moonlight, pour manquer de subtilité, étaient un impressionnant déploiement de force – qui inspirèrent par leur démesure et leur créativit

Curieusement – et originellement pour des raisons de durée – l’édition originale de l’album s’interrompait après Fame, nous privant de pas moins des cinq titres phares (TVC15, Star, Stay, The Jean Genie, Modern Love) qui constituaient la fin du set et le rappel. Dans la version disponible actuellement – celle de 2019 -, on a droit seulement au rajout de Modern Love

… Et justement, même si, pour nous cinéphiles et bowiemaniaques français, la meilleure incarnation de Modern Love restera pour toujours celle accompagnant la course de Denis Lavant dans le film de Carax Mauvais Sang, reconnaissons quand même que la conclusion du set qu’offre ici un Bowie totalement enthousiaste, emporté par l’ivresse du succès, a quelque chose d’inoubliable.

[Critique écrite en 2023]

https://www.benzinemag.net/2023/12/02/tous-les-albums-de-bowie-25-serious-moonlight-live-83/

Créée

le 2 déc. 2023

Critique lue 66 fois

3 j'aime

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 66 fois

3

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

205 j'aime

152

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

191 j'aime

115

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

190 j'aime

25