L'année 1973 marque le sommet de l'inventivité de Léo Ferré. Début 73, c'est Il N'Y A Plus Rien qui marque au fer rouge la chanson avec ses envolées épiques et sa rage anarchiste, et fin 73 voit l'homme aller plus loin encore avec Et... Basta !. Mais dès 72 Ferré se prépare et expérimente sur scène ses nouvelles compositions. Sur ce témoignage live où il se présente presque nu, débarrassé de toute orchestration autre que le piano virtuose de Paul Castanier, le vieux Léo disperse ça et là ses nouveautés au milieu de ses autres chansons.

C'est pour les premières que je me suis procuré ce double live (par ailleurs rigoureusement introuvable sur le net et indisponible au téléchargement frauduleux), car de Ferré je ne connaissais quasiment qu'Il N'Y A Plus Rien et je brûlais d'entendre l'homme vomir sa société en face de la salle comble de l'Olympia.
Ce disque m'a finalement déçu et enchanté à la fois puisqu'il m'a ouvert à la carrière antérieure du Ferré au lieu de me conforter dans mon admiration du bonhomme pour sa fameuse année 73. Le nouveau style de Léo à l'époque, en effet, est alors moins le chant que la déclamation rythmée de textes complexes. Eh bien ce style là ne convient pas au live. Triste mais évident ; sur le pourtant grandiose "Il N'Y A Plus Rien", le texte semble être déballé de manière mécanique et précipitée pendant la moitié du temps, mettant de côté l'épique. Même constat sur la "Préface", où des phrases comme "Avec nos avions qui dament le pion au soleil/Avec nos magnétophones qui se souviennent de "ces voix qui se sont tues"/Avec nos âmes en rade au milieu des rues/Nous sommes au bord du vide/Ficelés dans nos paquets de viande/A regarder passer les révolutions" perdent la moitié de leur passion. Seules les parties chantées du disque sont sauvées sur ce live ; "L'Oppression" et "Ne Chantez Pas La Mort" supportent parfaitement la perte de leur orchestration originale et se plient à merveille au piano habité de Castanier l'aveugle.
En revanche, les autres chansons de Ferré sont toutes magnifiées sur ce live. À commencer par "Ton Style (C'est ton cul)" qui brille par l'absence du groupe "Zoo". "Les Amants Tristes" est pourvue de la rage lyrique qui fait ici défaut à "Il N'Y A Plus Rien" et ses 8 minutes passent comme 4 au rythme du timbre noble du Ferré. "Le Crachat", ponctuée par les rires outrés du public, rappelle au monde que Léo Ferré n'aime rien tant que jouer avec les mots, quitte à se montrer ostensiblement scato, tandis que Paul Castanier se la joue cartoons classiques en bon "ponctueur de l'absurde" ! Le disque se termine sur "Avec Le Temps", classique parmi les classiques, interprété avec une foi qui force le respect.

La voix de Ferré atteint avec les années un timbre de plus en plus vibrant. Et si ses nouvelles expériences ne donnent qu'un résultat globalement médiocre sur scène (contraste avec un rendu studio épatant), ses anciennes chansons bénéficient de cette ambiance intimiste et gagnent en relief tandis que sa voix gagne en maturité. Très bon moment à passer en compagnie d'un des géants de la Chanson, surtout quand on sait que le meilleur est encore à venir...
TWazoo
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Un jour j'aurai une platine. Et de l'argent. En attendant, j'ai des CD

Créée

le 6 mai 2014

Critique lue 134 fois

3 j'aime

2 commentaires

T. Wazoo

Écrit par

Critique lue 134 fois

3
2

Du même critique

Jackson C. Frank
TWazoo
9

Milk & Honey

"Le plus connu des musiciens folk sixties dont personne n'aie jamais entendu parler." Ainsi s'exprime très justement un journaliste dans un article dédié à la mémoire de Jackson C. Frank, mort en...

le 16 oct. 2013

68 j'aime

5

One-Punch Man
TWazoo
4

"Well that was lame... I kinda had my hopes up too."

Cette citation n'est pas de moi, c'est Saitama lui-même, principal protagoniste et « héros » de One-Punch Man, qui la prononce après un énième gros vilain dûment tabassé d'un seul coup...

le 5 janv. 2016

67 j'aime

38

Murmuüre
TWazoo
9

Murmures du 3ème type

On pourrait être tenté, à l'approche de la musique de Murmuüre, de ne parler que de Black Metal. On pourrait amener, à la simple écoute des guitares poisseuses et saturées ou bien des - rares -...

le 30 sept. 2014

54 j'aime

5